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minutieux que l’organisation ancienne était vicieuse, on remarque encore de singulières inégalités entre les départemens, entre les cantons de la république. Notre administration les a maintes lois signalées, nos parlemens se sont à plusieurs reprises efforcés de les atténuer, sans parvenir jusqu’ici à les détruire. On imagine ce que pouvait être l’impôt direct de l’ancienne monarchie, réparti au hasard par des fonctionnaires mal informés et tenus de respecter des abus séculaires : privilèges de certaines provinces, privilèges de certaines catégories sociales.

Très léger à la fin du XVe siècle et sous le règne de Louis XII, l’impôt direct grossit fort au XVIe siècle et se réduit sous Henri IV. À qui lui parlait d’employer « 100,000 beaux écus » en une dépense d’utilité médiocre, l’économe Sully répliquait « qu’il était aisé de nommer 100,000 beaux écus, mais difficile de les trouver. » Plus tard on changea de maxime. L’État eut de grands besoins et s’y prit comme il put, assez mal le plus souvent, pour y faire face. Richelieu, après avoir dit aux notables, dans les commencemens de son ministère, « qu’il était impossible que les richesses et l’abondance des particuliers pussent subsister, quand l’État est pauvre et nécessiteux, » dut reconnaître sur la fin de sa vie qu’il s’était trompé, que la richesse sociale ne peut s’asseoir sur les ruines individuelles, et, comme il l’écrit dans son Testament politique, que « le vrai moyen d’enrichir l’État est de soulager le peuple. »

Les guerres entamées ne permirent d’y songer qu’au bout de vingt ans, et ce fut Colbert qui s’en chargea ; mais pendant une courte trêve, puisqu’avec la politique somptuaire de Louis XIV la nation était bientôt écrasée du poids de sa gloire, et ensuite de celui de ses défaites. Le vieux roi, à son tour, adressait avant de mourir, par-dessus la tête de son arrière-petit-fils (qui ne pouvait bonnement en profiter, puisqu’il n’avait que cinq ans) un petit discours au public où il recommandait le ménagement de la bourse nationale ; « chose, dit Mézeray, que les rois recommandent plus volontiers en mourant qu’ils ne le pratiquent durant leur vie. » Sous Fleury, qui la laissa se rétablir d’elle-même, la France respira ; les impôts diminuèrent sur l’ensemble du territoire ; mais ils frappaient bien capricieusement encore les diverses régions, puisque Turgot, intendant de Limoges sous Louis XV, déclarait que, dans sa généralité, « le roi tirait à peu près autant de la terre que le propriétaire. »

Les rôles des tailles, que j’ai recueillis dans un certain nombre de paroisses, reflètent, avec une muette éloquence, les diverses péripéties de notre histoire financière : Taulignan, en Dauphiné,