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l’empereur chinois Mou-Wang entreprit dans la direction de l’Ouest, en dehors des frontières de son empire, pour aller chercher au-delà des monts Kouen-Louen, du côté de l’Iran, les traditions de la science primitive. Cet empereur philosophe et voyageur se rendit, nous disent les textes, à la cour de la Mère du Roi occidental, et il en rapporta en Chine les principes du magisme, qui avaient déjà auparavant fait la base de l’ancienne religion de l’empire, mais dont les saines traditions s’étaient, paraît-il, perdues avec les siècles. On retrouve d’ailleurs ce voyage mentionné par un auteur persan, Abdallah-Beïdavi, dans son Histoire générale. Nous résisterons à la tentation de nous attarder ici à discuter la thèse si séduisante de l’identification possible entre la mystérieuse personnalité que les livres chinois appellent la Mère du Roi occidental et la reine de Saba elle-même, hypothèse que la fabuleuse domination des Hémiarites sur Samarkande, si fortement attestée par les auteurs arabes, rend parfaitement soutenable. Nous nous bornerons à dire qu’à coup sûr l’antique pèlerinage du sage empereur eut pour objectif des villes situées dans la région de Samarkande et de Boukhara, sinon ces villes elles-mêmes, qui peut-être existaient déjà alors. Quoi qu’il en soit, l’éclat intellectuel de ces grandes cités s’est affaibli depuis les derniers siècles. Il n’y a plus à Samarkande de facultés délivrant des diplômes ès-arts ou ès-sciences ; le temps n’est plus où les empereurs eux-mêmes, comme le fit sans doute le préhistorique Mou-Wang, et comme le faisait, à une époque plus moderne, Mirza-Ouloug-Beg, ne dédaignaient pas de descendre en personne dans l’arène du Reghistan, pour prendre part aux joutes de rhétorique et donner publiquement la réplique aux philosophes errans. Et les savans spécialistes qui ont succédé à ces derniers sont eux-mêmes moins instruits sans doute et certainement moins bien vêtus que ne devaient l’être leurs illustres prédécesseurs, choyés, équipés et comblés de présens par la munificence impériale des souverains mongols. Aujourd’hui, quelques-uns de ces érudits nous représentent encore la rhétorique et la philosophie sous des apparences suffisamment distinguées : ils sont mis avec une certaine recherche ; leurs barbes grises ou blanches sont peignées avec soin, leur turban bouffant est de fine étoffe et d’une blancheur irréprochable ; ils traînent après eux, comme comparses, un ou deux disciples décens. Mais le plus souvent ces philosophes paraissent appartenir plutôt à la secte de Diogène le Cynique, voire même de saint Labre ou de Job, qu’à celle d’Épicure ou d’Aristippe le Cyrénéen. Ils sont franchement sordides : ils portent des barbes en broussaille et des turbans de simple cotonnade bleue, comme ceux des gens de la dernière caste. Les