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plus colossal, également flanqué de deux tours. Celles-là sont rondes, et comme celles de l’autre porche, elles ont un diamètre beaucoup plus considérable à la base qu’au sommet, ce qui contribue à donner à l’énorme monument une singulière apparence de force et de solidité. Cette solidité cependant n’a pas suffi pour résister aux tremblemens de terre et aux autres causes de destruction, car le porche d’entrée est aujourd’hui en ruines ainsi que le bâtiment principal. L’esplanade intermédiaire était close autrefois par des murs ou même par des bâtimens latéraux qui devaient la transformer en une cour intérieure. Les dimensions de la mosquée proprement dite ne sont pas inférieures à celles de Saint-Pierre de Rome, et il y a une remarquable analogie, quant aux proportions et au plan général, entre ces deux grands monumens, bâtis vers la même époque, au centre des deux capitales du monde européen et du monde asiatique.

Moins favorisée que la basilique romaine, la grande mosquée de Samarkande n’a pas résisté à l’action des siècles, quelque solides qu’en aient été les matériaux, quelque colossale que soit l’épaisseur des murs. Aucune construction d’ailleurs ne saurait avoir une longue durée dans un climat où alternent des froids excessifs et des chaleurs brûlantes, et où l’écart thermométrique entre les températures extrêmes à l’ombre et au soleil peut atteindre jusqu’à 110 degrés. Les mêmes alternatives de chaleur et de froid qui suffisent à fendre les roches du Pamir, et qui émiettent, par leur action irrésistible, la charpente du plateau central du continent asiatique, n’ont pas épargné les murailles que Timour et les siens avaient voulu faire indestructibles. Partout les façades se sont fendues, les voûtes se sont effondrées, les placages de briques émaillées qui revêtaient les parois et sur lesquels étincelait si merveilleusement la grande lumière du soleil d’Orient se sont détachés et sont tombés par pans entiers. Les tremblemens de terre, si fréquens dans cette région, n’ont pas moins contribué que le climat et les intempéries à l’œuvre de destruction. Les grandes tours cylindriques, vêtues d’émail bleu, si hautes et si hardies, qui caractérisent l’architecture de Samarkande, l’attestent par les positions invraisemblables qu’elles ont prises à la suite des mouvemens du sol. Celles d’entre elles qui ne sont pas tombées affectent des inclinaisons auprès desquelles l’aplomb de la fameuse tour penchée de Pise serait d’une régularité exemplaire. Plusieurs de ces tours existent encore dans l’enceinte de la Biby-Khaneh, dont elles étaient des annexes. Elles sont semblables, par leurs dimensions et par leur style, à celles des médressés du Reghistan, et leur rôle dans le plan général de l’édifice n’est d’ailleurs que tout à fait accessoire.