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rut l’un des épisodes les plus dramatiques. Othman, on le sait, après les règnes austères, glorieux, mais quelque peu barbares, d’Abou-Bekr et d’Omar, apporta au khalifat des procédés différens de ceux que les Arabes avaient connus jusque-là. Bien que la guerre sainte ne se soit pas ralentie sous son règne et que ses conquêtes aient égalé celles de ses prédécesseurs, il inaugura sur le trône des khalifes l’emploi de la politique et de la diplomatie. Cette manière d’agir ne laissa pas de soulever des mécontentemens, excités et entretenus par ceux qu’Omar avait désignés comme admissibles après lui à la souveraineté élective du khalifat, mais que le sort n’avait pas favorisés. Après l’austère simplicité d’Abou-Bekr, après le féroce ascétisme d’Omar, le luxe d’Othman et les faveurs qu’il distribua à ses proches et à ses partisans parurent de la concussion et de l’impiété. En comparaison de l’implacable fanatisme, simple et sublime, qu’avaient montré ses deux prédécesseurs, et surtout Omar, le souverain vivant de la vie des pauvres, le conquérant de Jérusalem et l’incendiaire de la Bibliothèque d’Alexandrie, les compromis et les pourparlers d’Othman avec les infidèles parurent autant d’atteintes à la religion. Une révolte éclata, prélude du schisme qui devait à tout jamais diviser l’Islam en deux sectes irréconciliables et se traduire à travers les siècles par tant de guerres sanglantes. Elle était fomentée par Ali, gendre de Mahomet, l’un des compétiteurs évincés du khalifat, et par Aïcha, l’épouse préférée de la vieillesse du prophète, laquelle plus tard, d’ailleurs, fit une opposition violente au parti d’Ali, lorsqu’il fut khalife à son tour, et ne fut pas étrangère à sa mort. Othman, assiégé dans son palais, s’y défendit énergiquement pendant trois mois. Puis, serré de plus près et réduit par le manque d’eau à capituler, il sortit seul, comptant, pour calmer les révoltés, sur son prestige et sa parole : il se présenta à eux, sans autre arme que le manuscrit du Coran, écrit par lui-même sous la dictée de Mahomet, et qu’il serrait contre sa poitrine. Il tomba percé de coups et son sang couvrit le livre sacré : aussi celui-ci devint-il plus tard, lorsque Moaviah, premier khalife ommiade, eut assuré de nouveau, après une guerre longue et sanglante, le triomphe des Sunnites sur les Chiites, sectateurs d’Ali, une relique vénérée par tous les adaptes de la première de ces sectes. Un khalife ommiade, voulant s’assurer l’obéissance des habitans du Turkestan, ralliés à la doctrine sunnite, et stimuler leur hostilité contre les Chiites, fit don à la ville de Samarkande de ce précieux manuscrit, qui fut depuis lors conservé dans le médressé de Khodja-Akhrar jusqu’au moment où on le transporta, dit-on, à Saint-Pétersbourg.