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princes de la famille royale dont l’existence a pu, depuis cinq siècles, être jugée un obstacle à l’administration du pays par leur parent investi de la souveraineté.

La citadelle de Samarkande, considérée au simple point de vue moderne, est dès maintenant célèbre, au titre militaire, par le siège glorieux qu’y soutinrent les Russes en 1868, lors de la prise de la ville. À cette date, le général Kauffmann, gouverneur-général du Turkestan russe, entreprit contre l’émir de Boukhara, Mouzafïar-ed-din, une campagne motivée par une déclaration de guerre de la part de ce dernier, déclaration qui fut d’ailleurs désavouée plus tard. Les Russes, déjà depuis trois ans maîtres de Tachkent, où ils avaient installé le centre de leur gouvernement, franchirent, au nombre de 3,500, les trois cent vingt kilomètres qui séparent cette ville de Samarkande, et entrèrent sans résistance dans la capitale de Timour, après avoir battu, sur les bords du Zerafchane, l’armée boukhare, forte de 40,000 hommes. Kauffmann ayant reçu la soumission des habitans, s’éloigna dans la direction de Boukhara, après avoir mis l’Ourdou en état de défense, et y laissant ses blessés et ses malades, avec ses approvisionnemens de réserve, sous le commandement du major von Stempel. À peine se fut-il éloigné, que les habitans de Samarkande, aidés par les montagnards venus du sud, au nombre d’une dizaine de mille, assiégèrent la citadelle. Le développement des remparts de celle-ci étant d’environ un kilomètre, les blessés et les amputés eux-mêmes durent, pour garnir les murailles, prendre part à la défense, qui fut héroïque, et qui dura six jours et six nuits sans un instant de relâche. Enfin, les assiégés furent dégagés par Kauffmann, qui revint à marches forcées et qui, pour punir les habitans de Samarkande de leur mauvaise foi, accorda à ses troupes trois jours de pillage. L’émir se hâta de faire la paix, désavouant même toute préméditation belliqueuse ; mais les Russes, en passant avec lui un traité d’alliance qui a été observé depuis lors, gardèrent les villes de Samarkande et de Katti-Kourgan, ainsi que la province qui en dépend. Par la suite, ils donnèrent à l’émir de Boukhara, en dédommagement, les deux provinces montagneuses du Hissar et du Darvass, situées le long des frontières d’Afghanistan, et dont la possession lui était jusque-là contestée. Parmi les vaillans défenseurs de l’Ourdou se trouvait, dit-on, le peintre Vereschaguine, dont les tableaux, si profondément sentis et si vigoureusement rendus, ont initié d’une façon aussi frappante qu’exacte, il y a quelques années, le public parisien à la physionomie He l’Asie centrale.