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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/86

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sait rugir comme une lionne ; tantôt elle se montre séduisante comme une sirène. La fascination est également irrésistible dans l’emportement de la passion et dans les plus douces expansions de la tendresse. M. Scheidemantel est doué d’une voix de baryton au timbre enchanteur dont les inflexions moelleuses sont une caresse pour l’oreille, il prête au personnage de Wolfram une mélancolie sereine dont rien n’égale la sympathie pénétrante et la poétique suavité. Les émotions puissantes et douces dont je suis redevable à ces deux artistes éminens m’ont convaincu que le chant allemand, — et même le chant wagnérien, — ne sont point incompatibles avec les effets vocaux. Chez tous les interprètes de Bayreuth on trouve, à défaut d’un talent égal, un esprit d’abnégation, une conscience, un respect de l’œuvre et une ferveur artistique dignes des plus grands éloges. Ces qualités si précieuses, qui donnent l’harmonie et l’unité à l’ensemble d’une représentation, se rencontrent non-seulement chez les solistes, mais chez les choristes et les instrumentistes.

Tous reçoivent l’impulsion unique du chef d’orchestre, dépositaire de la pensée du maître, mandataire intègre et scrupuleux qui, du regard et du geste, donne la vie à l’exécution. Sauf la sonorité des instrumens de bois qui laisse un peu à désirer au point de vue de la transparence et de la finesse, l’orchestre de Bayreuth est admirable de puissance et de chaleur communicative. L’attaque de certains accords par les instrumens à cordes a une énergie telle qu’elle vous donne le frisson. La sonorité des chœurs est décuplée par la conviction et l’enthousiasme. Il n’existe dans cette légion d’interprètes ni indifférence, ni réticence, ni scepticisme. Chefs d’orchestre, instrumentistes, chanteurs et choristes, tous ont la religion du maître ; tous possèdent l’ardeur, la volonté et la foi.

Wagner a su hypnotiser son public et le convertir à des mœurs artistiques spéciales. En adoptant l’emplacement de Bayreuth pour construire son théâtre, il savait bien ce qu’il faisait. « La ville choisie, écrivait-il à un ami, ne devait pas être une capitale avec un théâtre déjà existant, ni une ville d’eaux amenant en été un nombreux public absolument impropre à pareil spectacle. » Wagner ne voulait pas de spectateurs d’occasion ; il était nécessaire qu’ils fissent le voyage expressément pour assister à ses représentations : ils devaient venir là « en pèlerinage. » Il ne fallait pas que les pèlerins pussent trouver, à côté du théâtre modèle, soit des distractions trop vives, soit un autre théâtre dont les anciens erremens et les mœurs artistiques fussent contraires aux tendances du nouvel art.

Toutes les conditions requises par le réformateur, Bayreuth les