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présenter à l’esprit et s’y implantât de manière à frapper de désuétude l’ancien rite funéraire.

De tous les changemens qui se produisent au sein des sociétés, les plus lents sont ceux que subissent les dogmes religieux. Quoique plus rapide, le progrès industriel, lui aussi, ne s’accomplit pas en un jour. C’est surtout à ses débuts qu’il demande beaucoup de temps, quand l’homme n’use encore que d’un petit nombre de matières, auxquelles il applique des procédés très simples. L’industrie mycénienne ignore l’usage du fer. Ce métal n’apparaît que tout à la fin de cette période, et encore, alors même, ne se montre-t-il que rarement et en très faible quantité. Au contraire, chez le peuple dont la vie se peint dans l’épopée, si le 1er n’est pas encore aussi commun que le bronze, il commence déjà à lui faire concurrence.

À Tirynthe et à Mycènes, il n’y a que de très légères traces de la broche, ou, comme on dit aujourd’hui, de la fibule, tandis qu’elle est souvent mentionnée dans Homère. C’est que, dans ces villes, on portait des habits cousus, au lieu que, chez les contemporains du poète, l’usage s’introduisait déjà de relier seulement par des agrafes les bords des pièces d’étoffes, mode qui, lorsqu’elle aura achevé de prévaloir, distinguera le vêtement grec de celui des Asiatiques et autres barbares. À Tirynthe et à Mycènes, on fait couler la libation et le sang des victimes dans des puisards, creusés au milieu de la cour des habitations princières. Cette fosse à offrandes, on l’a retrouvée, à Samothrace, dans le sanctuaire des Cabires, où le culte a gardé, jusqu’aux derniers jours du paganisme, une physionomie archaïque qui en augmentait le prestige ; mais, partout ailleurs, cette disposition avait été abandonnée. Déjà, chez Homère, c’est sur des tertres de gazon ou sur des blocs de pierre que les rois offrent le sacrifice, sur ce que nous appelons l’autel ϐωμός (bômos).

Ces exemples suffisent à montrer qu’un certain laps de temps sépare le poète et ses auditeurs de l’âge où ont vécu ses héros. Sur l’évaluation de cet intervalle, les avis peuvent se partager ; mais ce que nous croyons avoir prouvé, c’est que les poèmes supposent la connaissance d’un état antérieur de ce monde dont le centre est la mer Egée, connaissance qui, bien que réduite à un petit nombre de faits, est exacte dans l’ensemble ; c’est qu’ils évoquent le souvenir de cités royales qui ont été exhumées dans les endroits mêmes que semblait nous indiquer le doigt levé du poète. La conclusion s’impose : entre ces deux sociétés, celle qui ne nous a transmis que l’œuvre de ses mains et celle qui nous a légué les deux poèmes immortels, il n’y a pas solution de