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des taureaux sauvages paraissent avoir été un des plaisirs favoris des chefs achéens. Le corps de l’homme et celui de l’animal s’y montraient dans des attitudes dont la variété pittoresque trouvait dès lors des appréciateurs capables d’en fixer l’image. Le peintre avait traité ce sujet dans une des salles du palais de Tirynthe, et, en 1889, on l’a rencontré, à Vafio, ciselé sur deux gobelets d’or.

Du tableau de Tirynthe, il ne reste que deux figures, et encore ne sont-elles pas complètes, un taureau et le chasseur qui court après lui ; mais ce fragment suffit à faire deviner quelle fière tournure l’artiste avait donnée à la bête puissante, qui détale en un furieux galop, l’œil dilaté par la terreur et fouettant l’air de sa queue. Les vases de Vafio sont d’une conservation merveilleuse. Là, le drame de cette bataille engagée entre l’homme et l’animal est divisé en deux scènes qui se font pendant. Sur l’un des deux gobelets, l’orfèvre a montré les chasseurs aux prises avec les farouches habitans de la brousse. Les différens épisodes du combat sont figurés par trois taureaux. L’un d’eux, qui va réussira s’échapper, bondit, lancé à toute volée, par-dessus les rochers et les buissons. Un second aura peut-être même chance. Deux ennemis ont voulu lui barrer le passage ; mais, d’un coup de sa corne gauche, il en a fait sauter un en l’air, qui retombe en ce moment sur le dos ; puis il s’est retourné contre l’autre assaillant ; il lui a percé la poitrine, et il le balance suspendu à sa corne droite et la tête en bas. On n’a fait qu’un prisonnier, le taureau qui, effrayé par les cris des rabatteurs, est allé se jeter dans un filet tendu entre deux arbres. Tous ses efforts sont impuissans à rompre le treillis de corde. Roulé sur lui-même, il se débat en vain, et sa tête, seule libre, se redresse avec un effort plein d’une douloureuse angoisse. L’autre vase représente ce captif et ceux de ses frères qui ont subi le même sort. Ils sont là quatre, dont un seul, retenu par un lien, semble protester encore par le mouvement de sa tête, relevée pour mieux lancer le beuglement d’appel et de plainte qui ne l’empêchera pas d’obéir. Les trois autres sont libres ; mais, à leurs poses tranquilles, on sent que la captivité a déjà produit sur eux son effet et qu’ils sont prêts à tendre le front au joug. Entre les deux gobelets, le contraste n’est donc pas seulement dans la donnée ; il est aussi dans le caractère expressif du dessin. Ici, c’est la force qui se déploie avec passion, la force violente et déchaînée ; là, c’est la force au repos. Le sculpteur sait composer ; c’est dans le feu de l’action qu’il a étudié ses modèles, les formes et les mouvemens qui les définissent. Malgré quelques incorrections, les taureaux sont d’une ampleur admirable et d’une vérité saisissante.