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lettre, de mauvaises querelles de Breton à Gaulois, dans lesquelles il assaille l’écrivain français avec une multitude d’armes de Lilliput. « Tu sais, lecteur, — dit-il en commençant, — que, parmi les penseurs qu’a produits la France moderne, un des plus renommés est M. Michelet. Tous ces écrivains sont d’un tempérament révolutionnaire, non pas seulement dans le sens politique du mot, mais encore dans tous les autres ; affolés souvent comme les lièvres en mars, grisés par les vapeurs de la liberté reconquise, ivres du vin de leur puissante révolution, renâclant, hennissant et lançant la ruade, comme des chevaux sauvages dans les pampas immenses. » S’il est un reproche inattendu dans la plume de Quincey, c’est, bien assurément, celui de l’indépendance, de la révolte même de la pensée. N’avait-il pas, en effet, affirmé et exercé lui-même, dès les jours de son enfance, son droit de rêver et de pousser artificiellement son rêve jusqu’aux plus noirs cauchemars ? Mais il y avait en lui, semble-t-il, deux hommes quotidiennement très divers : celui d’avant et celui d’après l’opium, quelque amoindrie qu’ait pu être la dose de la journée. À jeun ou quand l’effet de l’opium ne se faisait plus sentir, Quincey n’était plus qu’un book-worm épilogueur, s’en prenant à des mots, à des qualifications, à des dates, ennuyé au fond de tout ce qui ne venait pas de son vice ou n’y retournait pas. Traitant ces minuties en un langage tout changé, où la part, d’ordinaire, est également faite entre de petites observations grondeuses et de singuliers ricanemens ; mais où luit parfois une idée étincelante, laissée dans quelque coin de cervelle par le rêve envolé. Citons comme spécimen de cette manière bizarre le passage très typique relatif à la province d’origine de Jeanne, la Lorraine selon les uns, la Champagne, selon les autres : « Jeanne naquit à Domrémy, village situé sur les marches de Lorraine et de Champagne, qui relevait de la seigneurie de Vaucouleurs… » M. Michelet veut toutefois qu’elle ait été Champenoise, et cela sans autre raison que l’origine de son père : « Jacques d’Arc était un brave Champenois. »

« Argumentation basée sur une véritable pointe d’aiguille, car Domrémy était situé sur une frontière, et, comme toutes les autres frontières, était habité par une race mélangée, tenant aussi bien des cis que des trans. Une rivière, la Meuse, formait, il est vrai, la ligne de partage à cet endroit-là. Elle eût pu, autrefois, diviser réellement les populations, mais elle ne pouvait plus alors le faire, étant traversée par des ponts et des bacs, où les noces passaient joyeuses d’une rive à l’autre. Deux grands chemins se trouvaient là, moins faits pour les voyageurs, à cette époque peu nombreux, que pour les armées alors deux fois trop nombreuses. Ces