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M. Spuller dit à ce sujet : « On n’aperçoit pas le moment précis où, dans le cours de sa jeunesse, il s’est tourné du côté des beaux-arts pour s’y adonner spécialement. Il n’avait jamais quitté la France avant le premier voyage qu’il fit à Florence en 1865 ; il avait donc peu vu de tableaux et de statues, et ne connaissait guère que les collections du Louvre et les expositions annuelles, quand, à la demande de quelques-uns de ses amis, il publia son premier Salon. » Plus loin, M. Spuller avoue que, de tout temps, Castagnary « aimait assez peu les livres imposans, les gros et lourds traités. » C’est fâcheux, car, dans tout genre d’études, il est indispensable de feuilleter beaucoup de livres, petits et gros. M. Spuller le montre, au début de sa carrière, « ne voulant être d’aucune école, si ce n’est de la sienne. » Cette résolution fait sourire chez un novice : se poser en réformateur avant de savoir d’après quels principes on réformera dénote un excès d’assurance. L’aveu suivant, qui complète les autres, est joliment présenté : « La doctrine de Castagnary ne s’est pas faite en un jour : il en a eu, en quelque sorte, l’intuition spontanée dès les premiers temps où il s’est mis à écrire, mais il l’a incessamment élaborée. » Enfin, voici un trait de caractère qui nous avertit de ne pas nous livrer complètement à l’initiateur de cette « œuvre d’enseignement et d’éducation : » — « Il était fort attaché à ses opinions, surtout quand il y perçait une légère pointe de paradoxe et qu’il sentait tout l’effet qu’il avait produit en les exposant. » Gardons-nous donc de prendre ses outrances plus au sérieux qu’il ne faisait lui-même.

La vérité, c’est que, en débutant, Castagnary ne savait pas très bien ce qu’il voulait démontrer au public. S’improvisant écrivain et critique, il apprît peu à peu ce qu’il enseignait, ne précisa qu’assez tard sa doctrine, et, lorsqu’il l’eut adoptée, s’y tint avec tant de rigueur et d’étroitesse que, de contestable qu’elle était, il la rendit radicalement fausse. Mais, avant d’analyser les élémens de cette doctrine tardive, voyons ce que valait, chez Castagnary, l’écrivain qui la cherchait.

Il y a des gens qui naissent dedans d’eux-mêmes ; Castagnary n’est pas du nombre : il manque essentiellement de modestie. Son moyen d’expression favori est l’affirmation, sans nuances ni réserves, lancée de haut, avec cette conviction, exprimée ou sous-entendue, que penser autrement est le fait d’un sot. Il se trompe souvent, mais toujours avec la même assurance, sans que les démentis de l’expérience diminuent sa confiance en lui-même. Il se décerne des éloges, il entonne de temps en temps des chants de triomphe. L’art l’attendait pour recevoir ses idées inspiratrices ; il note « les idées générales qui, pour n’avoir pas été élucidées à