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la compétence n’est légitime qu’en ce qui touche les phénomènes de la vision ? » Il ne veut pas d’histoire et, sur ce point, à plusieurs reprises, il déduit longuement ses raisons.

C’est en vertu de cette dernière antipathie qu’il a dressé contre le romantisme un réquisitoire sévère. À l’en croire, la révolution qui a remplacé l’école de David par celle de Delacroix aurait imposé à la peinture une des plus graves et des plus humiliantes dégradations qu’elle ait subies. Avant cette révolution, « la peinture avait son domaine, son champ d’observation propre, » qui était la représentation de la vie par ses moyens particuliers ; avec elle, « fait sans précédent, » la peinture a perdu son indépendance pour se faire « la servante de la littérature » et « de souveraine elle est devenue vassale. » Le peintre romantique n’observe plus directement la nature, il lit Shakspeare, Byron, Goethe, Chateaubriand, Hugo, Lamartine, et leur emprunte leurs sujets pour les traduire ; il devient « l’illustrateur universel de la peinture romantique. » D’où « la longue procession des Fausts, des Marguerites, des Mignons, des Hamlets, des don Juans, des Françoises de Rimini, des Roméos. » En 1863, il constate la dissolution de l’école, mais il ajoute : « Si les grands hommes ont disparu ou se sont effacés, leur queue s’agite encore : influence détestable, effroyable queue, — pluie de soufre et de crapauds après l’orage. » Cette influence, il en résume ainsi les effets : « Imitation de toutes les écoles et substitution du cosmopolitisme à la pensée française ; — introduction, dans l’art, du pittoresque qui sert à masquer l’ignorance du dessin ; — recherche de l’archéologie et du bric-à-brac qui frappent par l’inusité des accessoires ; — amour de l’anecdote qui intéresse par elle-même et sans le concours du métier ; — oubli absolu de la société contemporaine, qui, pendant vingt ans, reste non avenue pour l’art ; — par surcroît, culte de l’écu, mépris de la dignité artistique ; — finalement, abaissement général du niveau intellectuel. » Castagnary, médecin de l’art, parle ici comme M. Purgon. Si le malade est toujours vivant, c’est que les maladies qui devaient le tuer sont mortes avant lui. En effet, le médecin écrivait en 1867 : « La religion est morte, l’histoire est morte, la mythologie est morte ; toutes les sources de l’ancienne inspiration, si chères à la paresse ou à la médiocrité, sont taries. »

Sommes-nous au bout de tout ce que condamne Castagnary ? Pas encore. Disons toutefois, avant d’aller plus loin, qu’il admet la peinture historique à une condition. M. Dupain avait pris pour sujet, au Salon de 1878, un ancien usage du port de Bordeaux. Au XVIe siècle, les capitaines de navire, après avoir acquitté un droit de sortie sur les vins, recevaient une branche de cyprès qu’ils