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première. Nous devons à la terre natale des impressions et des souvenirs d’un charme unique, mais l’amour de la nature et de la vie ne s’arrêtent pas à l’horizon de notre village, ni même aux frontières de la patrie. À contester cette vérité, on tombe dans l’absurde. Ainsi le Normand qui n’aura jamais quitté sa Normandie ne devrait pas apprécier en peinture un paysage de Bourgogne. C’est à peu près l’avis de Castagnary. Ne reproche-t-il pas quelque part à un peintre picard de représenter les plages du pays basque ?

Quant à la théorie du portrait, je n’y puis voir qu’une charge d’atelier. Castagnary voudrait qu’un portrait fût la synthèse de toute une existence ; il indique la quarantaine comme le meilleur moment pour se faire peindre, mais il préférerait la vieillesse. À ce compte, mieux vaudrait encore attendre la veille de la mort, car, enfin, une existence n’est complète qu’au moment où elle va finir. La physionomie humaine se modifie à chaque âge, mais dans tous elle a son intérêt ; il y avait, au dernier Salon, le portrait, plein de caractère, d’un bébé de cinq jours. Tant mieux pour le peintre et le modèle, lorsque, portrait de jeunesse, d’âge mûr ou de vieillesse, une physionomie humaine offre un aspect particulièrement expressif ; mais un vrai peintre tirera de tout âge un bon portrait. Castagnary interdit le portrait au paysan qui ne pense pas, au bourgeois enfoncé dans la matière et au viveur. Il existe, pourtant, des têtes de paysans d’une singulière énergie, des têtes de bourgeois d’une laideur réjouissante, et il y a plaisir à voir l’image peinte, je ne dis pas d’un don Juan ou d’un Rolla, mais d’un simple habitué de cercle ou de coulisses. Quant à l’exclusion de la femme, — « Femme charmante, je vous exclus, » — elle équivaut à dire que la beauté, la grâce, le piquant, etc., des physionomies féminines ne valent pas d’arrêter un peintre. Ce sont, en effet, choses de peu de prix et généralement dédaignées.

Pour conclure cet examen des idées négatives de Castagnary, je propose d’imaginer un musée formé d’après ces idées. Il sera riche et surtout varié.


III

En s’efforçant de ruiner dans l’esprit du public et des artistes le goût de la peinture historique et religieuse, de l’imagination et de la fantaisie, Castagnary travaillait au développement d’une partie de l’art, la peinture de genre, à laquelle il prétendait assurer la domination de l’art tout entier. Bien qu’illustré par de très grands artistes, le genre n’avait tenu jusqu’alors qu’un rang secondaire dans l’estime des peintres, tandis que la qualité de « peintre