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but : comprendre et faire comprendre. De son vivant, le critique exerce son office avec plus ou moins d’autorité, de succès et de talent ; en écrivant sur autrui, il atteste plus ou moins d’originalité personnelle ; mais, dès qu’il est mort, il n’y a plus qu’un moyen de le juger lui-même, c’est d’examiner dans quelle mesure le temps lui a donné tort ou raison, quels de ses jugemens ont été confirmés ou cassés, enfin quelle a été sa contribution à cette histoire naturelle des esprits, à cette explication et à cette classification des œuvres qui sont l’utilité suprême de la critique. Un critique est donc un homme qui suit son temps, le comprend et l’explique ; il ne doit avoir d’autre passion que celle du vrai, donner le moins possible à son goût personnel, être très instruit, se tenir toujours au courant, signaler les nouveaux-venus, revenir sans cesse sur ses théories, pour les compléter et les corriger, sur les œuvres de quelque importance, pour marquer leur valeur et leur portée.

Malheureusement, aucun des termes de cette définition ne répond au rôle de Castagnary. Encore plus négatif ou plus affirmatif que les artistes auxquels il prêtait son appui, il a d’autant plus étroitement adopté leur doctrine et servi leurs intérêts de façon plus exclusive qu’il avançait dans sa carrière ; il a enchéri sur leurs exagérations. Il croyait suivre son temps ; en réalité, il allait contre lui, car aujourd’hui, tout ce qu’il voulait détruire, au nom de l’esprit du siècle, dure encore, et ce qu’il exaltait de façon exclusive n’est, aujourd’hui comme autrefois, qu’une partie de l’art et non la plus considérable. Il n’a jugé qu’avec des préférences et, comme on disait autrefois, avec son « sens propre ; » loin de faire effort pour élargir son propre goût, il s’est attaché à le rendre de plus en plus étroit ; il ne s’est jamais repris et corrigé ; très ignorant, il n’a rien emprunté aux enseignemens du passé ; enfermé dans un cercle, il n’a vu, en dehors, que les œuvres imposées à l’attention par la voix publique ; il n’a découvert aucun nouveau-venu. Il a cru à l’action immédiate et à la durée de sa critique ; or, sur son temps, il n’a eu qu’un effet restreint ; l’avenir n’a rien retenu de sa doctrine générale et peu de chose de ses jugemens individuels. Il avait pourtant de grandes ambitions, il prétendait être le Lessing de la peinture, et son premier écrit affectait les allures d’un Laocoon. La peinture a refusé d’entrer dans sa définition.

En revanche, si Castagnary n’est pas critique, il ne lui manque aucune des qualités nécessaires au polémiste : la conviction, le courage, l’esprit d’offensive. Un polémiste est juste le contraire d’un critique, et les mérites de celui-ci, loin de le servir, lui nuiraient.