n’était besoin de négociations longues et compliquées ; la constitution, rédigée par les missionnaires américains, acceptée de confiance par le roi et les indigènes, avait prévu le cas ; la signature du souverain suffisait, sans plébiscite et sans discussion ; mais Kaméhaméha III hésitait, nonobstant la pression qu’exerçaient sur lui ces missionnaires dont il avait fait ses conseillers et ses ministres. Il lui répugnait de détruire l’œuvre de son ancêtre, d’aliéner son royaume, de le voir passer en des mains étrangères. Il était de la race des Alii et son orgueil se révoltait à la pensée de céder son apanage à prix d’or. La grande ombre de Kaméhaméha Ier retenait sa main. S’il se sentait impuissant à reprendre ses vastes projets, à créer cet empire polynésien par lui rêvé, il se refusait à être le dernier de sa race, et, à défaut d’un fils, à déshériter son neveu de prédilection, son fils d’adoption.
Pour triompher de ses résistances, d’autres firent ce que les missionnaires n’essayèrent pas, mais laissèrent faire. Les familiers du roi agirent sur son esprit affaibli par l’âge et les excès, tantôt lui représentant que la cession de son royaume aux États-Unis était le seul moyen de se soustraire aux convoitises de la France dévoilées, disaient-ils, par la prise de possession de Tahiti, tantôt l’entraînant dans ces excès de sa jeunesse que l’âge ne lui permettait plus de supporter. Le 15 décembre 1854, il mourait subitement sans avoir apposé sa signature à l’acte de cession.
Le prince Liholiho, son neveu et son héritier désigné, lui succédait sous le nom de Kaméhaméha IV. Il n’avait que vingt ans. Entre son oncle et lui, le contraste était saisissant. Par sa force, par sa corpulence, par les traits du visage, Kaméhaméha III rappelait son illustre ancêtre. Quelques-uns de ses traits se retrouvaient dans le jeune héritier, mais affinés. Il était, lui aussi, de haute taille, mais mince, svelte, élancé, beau de visage, élégant d’allures. Il avait grand air, une aisance parfaite, des manières de gentilhomme. Bien élevé, instruit, parlant admirablement l’anglais, il avait beaucoup lu et beaucoup retenu, voyagé, visité les États-Unis et l’Europe. Son avènement au trône était l’inauguration d’un ordre nouveau de choses ; il personnifiait la civilisation se substituant à l’antique barbarie, l’intelligence, la grâce et le charme remplaçant la force brutale du fondateur de la dynastie, la faiblesse et les hésitations de ses successeurs à demi plongés dans les ténèbres du passé et qu’éblouissaient les lueurs trop vives d’une civilisation trop hâtive. Dans le regard assuré et limpide de Kaméhaméha IV, on lisait le chemin parcouru, l’accoutumance