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seront désignés par les agens forestiers ; il n’y a point de chemins dans les forêts algériennes. Aux termes de l’article 72, le troupeau de chaque commune doit être conduit par un ou plusieurs pâtres communs choisis par l’autorité municipale ; vivant uniquement d’élevage, chaque Arabe est le pâtre de son propre troupeau. L’article 152 interdit d’établir, sans l’autorisation du gouvernement, aucune maison sur perches, loge, baraque ou hangar, à moins d’un kilomètre des bois et forêts. En Afrique, les hangars et baraques sont des gourbis et des tentes ; ce ne sont pas des braconniers qui les habitent, ce sont des bergers nomades, et le douar déloge à des temps marqués, fumant ses terres par le déplacement des troupeaux. Par tolérance illégale, on a réduit à 200 mètres la zone de protection des forêts. Malheureusement la forêt africaine, qui se perd dans la broussaille, n’a ni limites naturelles, ni bornage. La zone est sans cesse en danger d’être franchie. S’il y a délit et que le douar compte dix tentes, l’amende sera de 500 francs.

Mais comment s’y prendre pour retirer à l’indigène le droit de vivre en cultivant les portions dénudées du sol forestier, les enclaves et les clairières ? Personne n’ayant, en France, la fantaisie de labourer sous-bois, le code n’avait pas prévu le délit de culture. C’est ici que s’est déployé tout le génie des assimilateurs. Il y a un article 144 qui punit de peines sévères « l’extraction non autorisée de pierres, sable, minerai, terre ou gazon, tourbe, bruyères, genêts, herbages… existant sur le sol des forêts. » Avec la permission de la cour suprême, le délit de labourage a été assimilé au délit d’extraction ; l’indigène sera puni pour avoir remué la terre comme s’il l’avait enlevée, il paiera tant par charretée ou tombereau, tant par charge de bête Je somme, et sans compter les frais, l’amende pourra monter à 5,000 fr. par hectare dans un pays où l’hectare vaut en moyenne 200 francs. — « Nous les avons vues, dit M. Ferry, ces tribus lamentables, que la colonisation refoule, que le séquestre écrase, que le régime forestier pourchasse et appauvrit. Nous avons vu ces clairières cultivées, ces champs d’orge ou de blé qui bordent les plaines, où depuis des siècles la charrue arabe creusait son maigre sillon, et que l’esprit de système a fait rentrer violemment dans le sol forestier. Nous avons vu sur les dunes, en petite Kabylie, la fiscalité française disputer à l’Arabe en guenilles l’herbe verte qui foisonne au printemps autour des touffes de lauriers-roses. Ce n’est pas seulement notre cœur qui s’est ému, c’est notre raison qui a protesté… L’administration des forêts a dressé, de 1883 à 1890, 96,570 procès-verbaux. Combien a-t-elle fait de désespérés ! Est-il bien surprenant de voir chaque été monter à l’horizon la flamme des incendies et l’importance des sinistres s’accroître en proportion des rigueurs de la régression forestière ? » — C’est à cela qu’on arrive quand on veut franciser un peuple à coups de procès-verbaux. Mais il en est des administrateurs dogmatiques comme des médecins de