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s’arrondit, trouée, délabrée, usée, pleine d’oiseaux qui jacassent, ses parois toutes brodées d’apôtres dont l’or luit sur sa concavité, de saints grossiers qui semblent découpés dans du papier, — et jusqu’en bas, traversant l’obscurité fumeuse, le regard fait une chute, tombe droit avec les innombrables cordes qui pendent du sommet, sur des constellations de cierges, sur des rayonnemens vagues d’argent, sur un peuple noir de prêtres d’où monte dans une résonance la grande mélopée nasillarde du culte grec.

Et des mendians s’agenouillent dans des coins, des dévots baisent des dalles, piquent des cierges sur des pointes de fer, des femmes allaitent leurs enfans collés à leurs longs seins plissés, des popes passent, patriarches barbus, chevelus, ventrus, en costumes de docteurs, en grands bonnets de Sorbonne, pleins de graisse, de crasse et d’importance, fanatiques et querelleurs, prêts à batailler si les moines franciscains, qui vont, la corde à la ceinture, faisaient durer trop longtemps leur messe à l’autel qu’ils partagent avec les Grecs. Accroupis sur des nattes, près de l’entrée, des soldats turcs boivent du café avec une dignité musulmane, avec une tolérance et un mépris tranquilles pour les bisbilles et les simagrées chrétiennes, font régner l’ordre par leur présence. Et l’on a beau aller, revenir sur ses pas, on n’arrive pas à démêler un plan d’ensemble ; on s’égare toujours ; on croit avoir tout vu, et l’on découvre encore. Ici une chapelle de couvent, où des moines tondus, en bure brune, assis dans leurs stalles de chêne, écoutent un père qui prêche en allemand, faisant sonner sous les voûtes les rauques consonnes germaniques. Ailleurs, un escalier mystérieux, un escalier de cave, que garde, les bras en croix, un mendiant extatique, — et tout en bas une crypte déserte, creusée dans le roc, très semblable à une vieille église de village breton, avec les mêmes sculptures naïves, les mêmes fleurs en papier sur l’autel, les mêmes peinturlurages paysans, le même air de vétusté froide et le tic-tac régulier, fatal, le battement terrible d’une grande horloge qui, dans ce silence de souterrain, mesure la fuite du temps. Sous la surveillance de l’autorité turque, tout paraît se passer au hasard. Point d’affiches indiquant les diverses cérémonies des divers cultes. Voici une messe grecque où il n’y a point de fidèles. Aujourd’hui dimanche matin, je ne découvre pas de messe catholique. Pour entendre celles qui se célèbrent à l’aurore, il faut se laisser enfermer ici le soir dans un des couvens du Saint-Sépulcre, assister aussi aux offices nocturnes, aux grands chants tristes qui développent lentement les liturgies.

Je visite quelques-uns de ces couvens dont les chambres se ramifient dans l’édifice, dont les cellules s’enchevêtrent aux chapelles derrière les chaises et les reliquaires. Il y en a de toutes