Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenaient rares, en un temps où la tribune et la presse proclamaient à l’envi le dogme de la bonté, de la justice, de l’infaillibilité du peuple, et où il commençait à devenir dangereux de paraître douter du nouvel article de foi. Honnête assurément et bien intentionné, mais déplorablement faible, dominé d’ailleurs par l’avocat Barthélémy, âme fougueuse et déjà jacobine, le maire-consul Roubaud garda, après l’émeute, la même attitude hésitante et molle dont il n’avait pas su se départir pendant la crise. Devant les victimes de cette inqualifiable arrestation, il protesta de sa douleur, de son indignation même ; mais cette indignation n’alla pas jusqu’à les mettre en liberté sur-le-champ, ainsi que l’ordonnait impérieusement la justice ; et, sous prétexte d’éviter de nouveaux troubles à la cité, de les soustraire eux-mêmes aux risques de la vindicte populaire, il annonça à M. de Rions et à ses compagnons qu’il était obligé de les garder au Palais de Justice[1]. Et ce fut cette même garde nationale, chargée quelques heures auparavant de leur protection, qui fut alors chargée du soin de leur surveillance : les défenseurs devenaient les geôliers !

« Tels sont, dit excellemment M. de Rions à la fin de son Mémoire, les détails de l’attentat inouï dont je demande justice. J’ai été arraché de la maison du roi, de l’hôtel que j’habite ; j’ai été traîné en prison comme un scélérat ; j’y étais renfermé dans un cachot. Les principaux officiers du corps ont été traités avec la même indignité ; .. la licence effrénée des volontaires a, dans cette occasion-ci, dépassé toutes les bornes. Les loix anciennes, les loix nouvelles, ont été également violées ; ils ont outragé les décrets de l’assemblée nationale en tout ce qui concerne les droits de l’homme et ceux du citoyen. Qu’on ne nous considère pas ici, si l’on veut, comme des militaires en grade et moi, en particulier, comme le chef d’un corps respectable ; qu’on voie simplement en nous des citoyens tranquilles et irréprochables, et tout homme honnête ne pourra qu’être révolté de l’injuste et odieux traitement que nous avons essuyé et se joindre à nous pour en désirer la punition. »

On ne peut rien ajouter à la justesse et à la force de ces observations.


GEORGE DURUY.

  1. « La fuite des uns et la détention des autres produisirent l’heureux et double effet d’assurer leur liberté individuelle et la tranquillité publique, » ose dire le Mémoire de la ville de Toulon, p. 48.