Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre texte de la proclamation, de la main même du maréchal, avec des variantes plus agressives contre les Bourbons. Pas plus que les juges de 1815, les historiens n’ont le moyen de faire la lumière sur ce point ; il est secondaire ; que le signataire ait libellé la pièce ou qu’il ait accepté une rédaction du quartier impérial, sa responsabilité est la même, du moment qu’il y a apposé son nom. Le 14 au matin, la fatale révolution était faite dans l’esprit de Ney ; il communiqua le factum, antidaté du 13, aux généraux de Bourmont et Lecourbe. À l’en croire, ni l’un ni l’autre n’y fit d’opposition. Bourmont a protesté dans la suite et chargé sévèrement son ancien chef ; il n’en demeure pas moins établi que les deux divisionnaires accompagnèrent le maréchal à la revue et s’assirent avec lui, le soir, au banquet où les officiers acclamèrent l’empereur.

On sait le reste : la marche sur Auxerre, la rencontre dans cette ville, la présence d’esprit de Napoléon, qui ouvrit ses bras au transfuge et lui ferma la bouche par une accolade, comme celui-ci se préparait à débiter une harangue laborieusement préparée sur les libertés publiques et la nécessité d’un changement de système. À Paris, Ney s’aperçut bientôt qu’en se redonnant au maître, il n’avait pas reconquis une confiance ébranlée. On ne lui pardonnait pas la scène de Fontainebleau ; il aggrava ses torts par des fanfaronnades qu’il devait payer chèrement, se van tant d’avoir joué Louis XVIII pour mieux servir Napoléon ; c’était faux, et ce cynisme acheva d’indisposer l’empereur. Mécontent des autres et de soi-même, le prince de la Moskowa bouda, se retira dans sa terre ; il n’en sortit que pour courir au canon de Waterloo. Pour lui aussi, la dernière partie se jouait là, il le sentait bien : « Toi et moi, criait-il à d’Erlon, si nous ne mourons pas ici sous les balles des Anglais, il ne nous restera plus qu’à tomber misérablement sous les balles des émigrés. » Il eut quatre chevaux tués sous lui ; et cette précipitation qui lui fit imputer la perte de la bataille, c’était l’impatience à chercher la mort. Elle l’avait marqué ; elle ne voulut pas s’offrir si belle.

Rentré à Paris, ce pauvre politique n’y manqua pas une dernière maladresse ; il prononça à la chambre des pairs, le 22 juin, un discours où il proclamait que tout était perdu et qu’il fallait négocier sans délai avec les alliés. Langage inattendu dans la bouche de Ney, et qui fit le plus mauvais effet. Puis, il demanda des passeports pour la Suisse sous un nom supposé ; un instant, il agita le projet de passer aux États-Unis ; il finit par se rendre à Lyon, et de là aux eaux de Saint-Alban, dans la Loire, où une lettre de la maréchale lui fit connaître les ordonnances du 24 juillet.