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traditions déjà assez atténuées, par un attachement inné à la terre natale, et du mondain, surtout du mondain, par ses goûts, ayant les opinions de son âge sans exaltation, plutôt avec une précoce et gracieuse maturité, mêlant à son royalisme un vague instinct libéral : il avait respiré l’air de son temps ! Avec ses jeunes camarades, il s’intéressait à tout, aux débats des chambres, aux polémiques des journaux, qu’il suivait d’une attention passionnée. Dans les scissions qui éclataient entre royalistes, dans la légendaire querelle entre M. de Chateaubriand et M. de Villèle, il avait fait son choix ; il aurait volontiers pris parti pour le brillant disgracié qu’il a appelé « un joyau de la couronne. » Il était de ceux qui trouvaient que le ministère de M. de Villèle ne parlait pas assez à l’imagination du pays, que le système du ministre toulousain ressemblait trop « au ménage d’un vieux mari et d’une jeune femme. » De cœur il aurait suivi la fortune des Chateaubriand, des Hyde de Neuville, des La Ferronays, du séduisant Martignac, de cette brillante élite du royalisme libéral. Ce jeune sage en était déjà à penser que si la couronne avait ses droits, le parlement avait aussi ses privilèges qu’il fallait se garder d’offenser, que le pire de tout était de mettre aux prises les droits du roi et les droits du peuple dans de suprêmes et désastreux conflits. Il était de la « droite modérée » en politique et il l’était aussi même en littérature. En gardant son culte pour Talma, qui venait de mourir, et pour la tragédie qui, alors, n’était pas beaucoup plus vivante, il se sentait attiré, conquis par les jeunes chefs de la poésie nouvelle, Lamartine, Hugo, Vigny, déjà suspects à toutes les réactions, et il aurait été tout prêt à se mettre avec les partisans d’Hernani s’ils avaient été un peu moins chevelus. Il raconte, avec une légèreté piquante, qu’un jour, dans un salon, il n’avait pu se défendre d’une sorte de « soubresaut » et de « pressentiment douloureux » en entendant un vieil ami du roi, à qui on représentait qu’on ne devait pas s’aliéner un jeune homme tel que M. Victor Hugo, répondre avec une emphase comique : « Que M. Hugo s’en aille si cela lui convient, nous garderons M. de Chazet. » Pauvre M. Alissan de Chazet ! Qui se souvient de lui et de ses chansons royalistes ? C’était la vétusté, l’insignifiance de la poésie présentée comme l’ornement du trône et l’accompagnement d’un règne qui avait commencé par le Chant du sacre ! M. de Falloux n’était pas d’humeur à s’ensevelir avec les vieilleries d’un royalisme suranné et béat, — et il n’était pas le seul.

Avec lui, c’est toute une génération grandissante, gonflée d’espérances, impatiente de vivre de la vie nouvelle, qui serait aisément devenue libérale sans cesser d’être royaliste et aurait volontiers