Beyle enseigna à Mérimée que Racine « manquait de mœurs, » c’est-à-dire qu’il a peint les passions dans un lieu vague et vide qui ne tient d’aucun pays ni d’aucun siècle. Il lui a révélé la moitié de Shakspeare, non le poète, qu’il ignorait, mais l’observateur et le peintre, qu’il comprenait à peu près. Par là, il l’a ramené à l’étude des faits, au premier rang desquels il plaçait les faits de l’âme. Conciliation très simple et subordination très nécessaire par laquelle peut être résolu l’antagonisme, plus apparent que réel, de l’école naturaliste et de l’école analytique.
Quant à la forme, Mérimée ne voyait aucune raison pour renoncer à la langue du XVIIIe siècle, et cette obstination devait lui coûter cher, car il n’y a pas de mots dans le vocabulaire de Voltaire pour analyser les sentimens d’un homme et d’une femme de notre temps. Il ne prenait pas au sérieux Stendhal comme écrivain. Comment demander des leçons de style à un homme qui se raturait et se recopiait, non point pour corriger ses fautes, mais « pour en ajouter de nouvelles ? » Pourtant, Mérimée crut Henri Beyle lorsqu’il l’engageait à choisir parmi vingt anecdotes, réelles ou imaginaires, celle qui est vraiment significative et suggestive, en soulignant d’un relief accusé le trait qui la domine et la résume. Ce précepte descendit profondément dans l’esprit de Mérimée et s’y grava. En effet, c’est tout un système littéraire, c’est tout notre métier en raccourci.
À l’influence de Beyle, il faut joindre celle de Victor Jacquemont. Mérimée fit sa connaissance d’une façon singulière. Dans une réunion de jeunes gens, en guise de farce, le futur voyageur jeta un verre d’eau à la tête du futur romancier. Que fit Mérimée ? Il s’essuya. Mais, la nuit, rentré chez lui, il s’avisa qu’on l’avait insulté, et, sans éprouver, d’ailleurs, aucun ressentiment, jugea qu’il devait demander une réparation. Le lendemain matin, il arrivait en fiacre, avec deux amis, à la porte de Jacquemont. Il attendait, en bas, le retour de ses témoins lorsqu’il vit reparaître, avec eux, l’agresseur de la veille qui s’excusa très cordialement de sa mauvaise plaisanterie et, au lieu d’un duel, lui offrit son amitié. Jacquemont ne nous est connu que par quelques recherches de naturaliste, ses lettres sur l’Inde et sa mort prématurée. C’était un jeune homme bizarre, peu aimé dans le monde où il ne prenait aucune peine pour cacher aux sots son dédain. Il se moquait de la religion, de la poésie, des grandes phrases, de ceux qui les font et de ceux qui les croient.
Ainsi se forma le trio : Beyle, Mérimée, Jacquemont. Quelle qu’ait, pu être la valeur morale et intellectuelle de ces trois amis, ils représentaient les différentes méthodes par lesquelles un art affaibli et dévoyé peut revenir au vrai et retrouver la force :