nous salueraient, la main sur le cœur, en nous souhaitant beaucoup d’enfans.
Dans l’espace profond, du rose flotte, une rougeur vivante et tiède comme un sang subtil : c’est le second rayon ; le soleil est tombé derrière l’horizon que la grande pente nous masque. Roses aussi les mornes aigus, les lapias crevassés, la nudité des étendues de pierre que baigne cette fabuleuse clarté. Elle emplit à la fois tout l’espace, elle enveloppe les choses en supprimant les ombres, en rapprochant et précisant tout. Et puis, au zénith, le ciel se remet à bleuir, non plus de l’azur lumineux du jour, mais du bleu sourd et profond des espaces insondables. Les pierres pâlissent, mais ne s’obscurcissent point, deviennent simplement ternes et blanches comme des neiges qui s’étendent dans la nuit.
Nous marchons en file, précédés par le Bédouin, et peu à peu nous nous sentons envahir par la monotonie de cette descente, nous sentons peser sur nous la solennité de ces solitudes. Tout le monde s’est tu ; les corps se sont habitués aux faux pas que font les chevaux sur les pierres roulantes. L’esprit somnole comme eux, et l’impression de ce silence entre en lui vaguement, mais continuellement, s’amoncelle au fond de l’être comme chez les bêtes qui ne pensent pas, qui se taisent devant la tristesse des brumes errantes et de la nuit qui tombe.
Quelquefois la longueur de cette marche paraît telle, si éternellement semblables les grands plateaux de pierre, si semblables les mornes qui passent à ceux qui ont passé, qu’il semble que cela doive durer toujours. On perd un peu la notion du temps et les quelques heures écoulées depuis le départ tracent dans l’esprit une longue impression de durée vide. — À droite et à gauche, les rocs montent, terminés en lignes aiguës sur le ciel. Dans la nuit, cela fait un chaos pâle, par endroits d’une blancheur luisante et pure comme le sel incorruptible. On songe alors aux prophètes qui se sont retirés dans ce désert, seuls sur la roche, sous le soleil et les étoiles, nourris par les oiseaux de l’air. On comprend mieux leur dialogue avec Iahvé, leurs versets secs et farouches, la continuité de leur passion forte et simple.
Mais, presque toujours, on ne pense à rien ; on est une chose cahotée qui descend le long du sentier sans fin, et sur l’âme somnolente les lieues de ce paysage d’horreur s’accumulent…
Parfois un réveil brusque : le mauvais chemin s’arrête au bord d’un trou où pend une arche de pont brisé. Et alors il faut faire un long détour sur la roche, tirer par la bride les chevaux qui glissent. Sous leurs sabots des cailloux roulent, rompant le silence de la nuit sonore, et puis, de l’autre côté du ravin, la descente reprend au bord de la fissure noire. Seul, le chef bédouin reste alerte et