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Randol reste, et de Salus, au contraire, sort après le dîner, et c’est ainsi que les choses s’arrangent et « que tout rentre ici dans l’ordre accoutumé. »

Des grandes saletés, disait l’abbé Taconnet. Mais non, pas même grandes. Elles ont au contraire quelque chose de mesquin et de médiocre ; il leur manque la franchise, la vigueur, le sang frais et rouge, et la belle sève de vie qu’il faudrait pour nous les imposer. Nous espérions de l’excellent Maupassant, et nous avons eu du mauvais Bourget, du pire, une histoire malsaine et mondaine par-dessus le marché, ce qui la rend plus répugnante encore, lui enlevant cette excuse de la nature, de l’instinct, qui fait passer les récits, même les plus crus, de Guy de Maupassant. Non, il n’y a rien là de naturel, rien qui donne l’impression de la vérité. Tout, au contraire, y sent le cynisme prémédité, l’artifice pervers, le parti-pris de la corruption cherchée, et d’une « cruauté » plus poncive peut-être et plus convenue, je ne dis pas que l’illusion volontaire, mais que l’impartialité. Il semble que Guy de Maupassant ait tenu ici une gageure, qu’il ait triché avec lui-même et se soit imposé je ne sais quel idéal à rebours, aussi en dehors que l’autre, et de la vie et de la réalité. Je ne demande pas que la devise de l’art dramatique soit sursum corda ! mais elle ne devrait pas être non plus systématiquement le contraire, et vraiment les cœurs ici sont trop bas, si tant est que le cœur ait rien à voir en de pareilles histoires. « Le cœur humain de qui, le cœur humain de quoi ? » Celui de M. de Salus ? Où le placez-vous ? Celui de Mme de Salus ? Quand elle a pris un amant, elle l’a pris au hasard : « Puisque cet homme m’aime, pourquoi pas lui ? » et quand cet homme aujourd’hui lui demande : « M’aimez-vous ? » elle lui répond avec de sèches coquetteries : « Mon Dieu, il y a des choses qu’il ne faut jamais approfondir. » Randol enfin, qui semblait d’abord aimer de toute son âme (un mot singulier dans cette pièce), aimer sincèrement et loyalement, Randol ensuite accueille avec une désinvolture déconcertante, avec des demi-sourires et une ironie déplaisante, les confidences de Mme de Salus, menacée et presque violentée par son mari. Sans ‘compter, nous l’avons vu, que le cynisme ne sauve pas cette comédie de la banalité : ni de l’enlèvement de rigueur proposé par la femme, ainsi qu’il convient ; discuté, puis accepté par l’amant, ainsi qu’il arrive ; ni du partage proportionnel, un des problèmes les plus rebattus de l’adultère contemporain.

Nous rappelions plus haut le mot fameux de Mensonges ; mais dans Mensonges au moins, chez le doux René Vincy, il y avait de la passion et de la souffrance. Il n’y a que corruption ici. Aucun de ces trois personnages ne mérite, je ne dis pas notre sympathie, mais seulement notre intérêt, notre curiosité. Peu nous importe qu’une telle paix, la