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de coutume, nous présente tout uniment, sans rien préparer, ni développer, ni envelopper, cette donnée de psychologie ou de pathologie infantile. Oh ! l’exaspérante gamine, qui arrive toujours pour voir un monsieur embrasser sa maman, et pour s’évanouir à cette vue. Syncope de la petite fille, attaque de nerfs de la petite fille, croup de la petite fille ; la petite fille est sauvée, elle entre en convalescence, rechute ; mademoiselle se meurt, mademoiselle est morte. Enfin ! Qui nous débarrassera de deux personnages dont le théâtre abuse depuis quelque temps : l’enfant et l’ecclésiastique ? L’un et l’autre sévissent cruellement dans une Page d’amour, et l’abbé Jouve n’y est pas moins fastidieux et poncif, que n’y est irritante la petite hystérique.

Quant au Vaudeville, ce n’est pas le clergé, c’est le bon Dieu lui-même qu’on y exhibe. Ce théâtre éclectique fait des lendemains à Flipote avec le Nouveau-Testament : il se partage entre M Jules Lemaître et les Evangélistes. C’est un signe de notre temps que le mépris de toute compétence, j’allais dire de toute spécialité, soit humaine, soit divine. On bannit Dieu de partout où est sa place pour le mettre partout où elle n’est pas.

Les tableaux de sainteté de la Chaussée-d’Antin forment le plus ennuyeux et le plus malséant des spectacles. L’intention, je le sais, en est pure, pieuse même ; l’effet en est aussi désagréable que possible, également contraire à l’esthétique et à la foi. Oh ! nous entendons bien : on nous objectera le Noël tant célébré de Maurice Bouchor. Mais d’abord, il venait le premier ; et puis, ce mystère exquis ne ressemblait en rien aux Drames sacrés. Noël était joué par des marionnettes, qui faisaient l’interprétation irréelle et par conséquent respectueuse, idéale même. La Vierge, par exemple, n’apparaissait qu’à la fin, et la gentille figurine, qui se mouvait à peine, ne parlait pas ; elle chantait. Ce n’est pas tout : le Dieu de Noël n’était pas le Christ, mais l’Enfant Jésus, le petit enfant, entrevu seulement, et silencieux, et justement cette enfance, cette naïveté, étaient encore un charme. Enfin, et voici la différence capitale, les vers de Noël étaient beaux. Noël était poésie, les Drames sacrés ne sont que rhétorique, et rhétorique, non pas de rhéteur, mais de rhétoricien, tout au plus ; vers français qui ressemblent à des vers latins de collège, avec amplification et chevilles. Et quelles chevilles ? « Laissez venir à moi jusqu’aux petits enfans ! » Il me semble que nous avions entendu déjà dans je ne sais plus quelle Passion : « Laissez venir à moi les petits enfans… blonds. » Vous pouvez choisir entre les deux variantes ; celle de MM. Silvestre et Morand a l’inconvénient, entre autres, de faire dire au Christ exactement le contraire de ce qu’il a dit. Le reste est à l’avenant. Mais il n’y a pas de changé que les paroles, ces immuables, ces intangibles paroles ! Les situations, si je puis dire, sont traitées avec une égale désinvolture. L’ange Gabriel, par exemple, après avoir achevé