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fléchir le prince, pour obtenir de lui quelque concession, au moins quelque parole réservant le droit de la France sur son drapeau. Le prince les avait écoutés avec une affabilité courtoise et tranquille, n’avait rien discuté et était resté inébranlable. Il avait dit ce qu’il voulait dire ! Le coup était porté et confondait tous les calculs à Versailles. — « O sang de Charles X ! » — s’écriait M. Vitet. Et Mgr Dupanloup, revenant de Chambord, disait à son tour : — « Je viens d’assister à un phénomène intellectuel sans exemple. Jamais on n’a vu une cécité morale aussi absolue ! » — Dès le lendemain, M. de Falloux allait faire une visite à M. Thiers, qui le recevait cordialement, peut-être en homme un peu soulagé, et lui disait non sans ironie : — « Eh bien, M. le comte de Chambord conduit singulièrement ses affaires. Moi, je ne voulais pas de la rentrée des princes d’Orléans ; je la trouvais imprudente et prématurée. C’est M. le comte de Chambord qui m’a fait forcer la main par ses amis… Maintenant, c’est lui qui rompt brusquement avec ses cousins et jette tout par la fenêtre. On m’accuse de vouloir fonder la république : me voilà bien à l’abri de ce reproche ! Désormais, nul ne disconviendra que le fondateur de la république en France, c’est M. le comte de Chambord[1] ! » — Et tout en reprochant à M. Thiers de se montrer peu généreux, M. de Falloux lui-même se retirait consterné, se plaisant encore à accuser les « conseillers intimes » de cette déception nouvelle, — mais forcé de s’avouer que « le vent ne soufflait plus vers la monarchie, qu’il soufflait en faveur de la république. » Tout était fini au moins pour le moment.

Une seconde fois, cependant, au mois d’août 1873, une perspective monarchique semblait se rouvrir à l’improviste. Maintenant M. Thiers n’était plus au pouvoir. Le premier président de la république avait disparu le 24 mai 1873 et les républicains eux-mêmes avaient précipité sa chute. Il avait été remplacé à la présidence par le maréchal de Mac-Mahon, qui avait choisi ou accepté aussitôt comme premier ministre M. le duc de Broglie : — « Rien n’était changé ! » — disait-on, dans les institutions : la direction, l’orientation politique seule avait changé ; mais ce changement seul ressemblait à une révolution. Moins de trois mois étaient passés depuis le 24 mai, lorsqu’on apprenait tout à coup que M. le comte de Paris venait de se rendre à Vienne et de là à Frohsdorf. M. le comte

  1. Il est certain que M. de Falloux avait fini par se montrer sévère pour M. Thiers, allant même jusqu’à l’accuser de tout sacrifier à son ambition. Il le lui disait du reste librement, et comme, selon le mot de M. Thiers, ils « n’étaient muets ni l’un ni l’autre, » les discussions étaient quelquefois vives. M. de Falloux était néanmoins resté longtemps sous le charme ; M. Thiers, de son côté, avait beaucoup de goût pour M. de Falloux. C’était un souvenir de 1848 !