de sa chute. Nos chevaux gravissent, avec une agilité qui tient du phénomène, un raidillon caillouteux dont le sol friable s’émiette et s’ébranle sous les sabots. Nous entrons alors dans un pays moins tourmenté, dont l’aspect gracieux est une jouissance et un repos pour la vue. Il rappelle ces décors frais et pomponnés où dansent les ballerines habillées de tulle dans les ballets de nos féeries. Nous longeons une petite rivière qui coule au bas d’un coteau émaillé de fleurs. À notre gauche s’étend toute une forêt de petits arbres odorans, dont les feuilles ont la verdure un peu pâle et indécise des pousses au printemps, et dont les fleurs roses semblent des festons de pampres et d’églantines, accrochés aux branches pour une fête rustique. Il est cinq heures du soir ; le soleil, qui s’incline vers la montagne, n’a plus la force des rayons de midi et contribue à nous faire oublier que nous sommes en plein été ; la tiédeur du ciel, la grâce de ce décor si coquettement paré, toute cette nature attifée nous donne en plein mois d’août l’illusion du printemps et de l’avril.
Voilà onze heures que nous sommes en selle. Il est temps d’arriver. Encore un hill à franchir, et nous découvrirons la terre promise. À mesure que nous remontons, le pays redevient sauvage. Au sortir de l’Eldorado, nous rentrons dans la Terre désolée ; les pierres précieuses jonchent le sol sans l’orner, agates, sardoines, malachites, améthystes, toutes sales sous leur gangue de boue sèche. Il y a quinze ans au plus, les Nez-Percés attaquèrent ici même Weikert et Mac-Cartney. Des crânes de chevaux achèvent de s’émielter entre les cailloux. De temps en temps, le sabot de nos bêtes butte contre de superbes ramures d’elques et d’élans qui sont tombées à la mue. Quelques-unes ont un développement de 2 mètres.
Enfin nous gravissons la dernière crête, d’où nous devrons voir l’hôtel ou loghouse. Une belle plaine s’étend à nos pieds jusqu’à la chaîne lointaine des Baronettes ; il n’y a pas apparence d’habitation, c’est toujours le même désert, et pas un être n’apparaît. Il est six heures du soir.
— Mais, Jim, il n’y a point d’hôtel !
— Si, si, là-bas, voyez.
Du doigt, il nous fait apercevoir entre les arbres, au bord d’un ruisseau, adossée à la colline, une petite cabane peinte en rouge. Nous la distinguons mieux en approchant. Vers sept heures, notre escadron fait son entrée dans la cour de Yancee’s Camp.
Yancee’s Camp n’a rien d’un camp. Il faudrait traduire ce mot par la Logette du père Yancee. Dans ce pays perdu, où l’on ne rencontre âme qui vive à plusieurs lieues à la ronde, le père Yancee a construit une cahute où s’arrêtent les mineurs entre Bozeman