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« Je suis esclave, fais-moi ce que tu veux, et ne bois pas ainsi mon sang jour et nuit. » Et Dieu sait cependant de quels traitemens il est menacé. Dépouillé de ses vêtemens et lié durement avec une corde, il va être conduit ainsi par la ville, un lambeau d’étoffe à peine jeté sur sa nudité, chez une sorte de tortionnaire (bourreau public), qui devra lui donner mille coups sur le dos et autant sur le ventre… « C’est ma mort ! » s’écrie le pauvre esclave… Sa maîtresse presse son départ, et on l’emmène. Elle le rappelle presque aussitôt ; mais c’est pour donner l’ordre qu’on le marque au front. Cependant, il échappera pour cette fois à ces traitemens barbares. Il a pour lui la pitié d’une jeune esclave que Bitinna, la maîtresse, a élevée et aime, dit-elle, comme sa propre fille, Batyllis, et sans doute aussi quelque sentiment personnel de la jalouse. Elle pardonne, en menaçant encore, mais on soupçonne que le pardon est obtenu par l’intercession secrète de sa passion autant que par les instances de sa favorite.

Cette peinture d’une explosion de jalousie est d’une vérité brutale, et les mœurs qu’elle nous révèle nous paraissent étranges. Bitinna n’appartient pas à la dernière classe ; elle a une maison montée, au moins quatre esclaves ; c’est une mère qui a de la tendresse pour sa fille : et le vice est installé à son foyer, il fait partie de sa maison. Celui qu’elle honore de ses faveurs, et dont elle réclame la possession exclusive, est un misérable esclave : « elle l’a élevé au rang des hommes, » dit-elle elle-même ; et, si l’on s’en fiait au nom de cet esclave, Gastron (le ventru), ce ne serait pas l’élégance de sa personne qui l’aurait fait choisir. En tout cas, la vulgarité de sa maîtresse se montre par une grossièreté de langage et une crudité d’expression qui rendent certains vers intraduisibles. M. Rutherford pense que la patrie de cette énergique matrone pourrait être Cyzique. C’était assurément une ville de la Grèce asiatique. Ce laisser-aller dans les mœurs, ce mélange de sensualité et de cruauté ont un caractère bien oriental.

C’est aussi la cruauté qui caractérise la scène représentée dans une autre pièce, le Maître d’école. Le mot n’est pas trop fort ; d’autant plus qu’ici il n’y a pas seulement des menaces, mais un supplice réel auquel on assiste. La victime est un mauvais écolier, et l’on voit que la fonction de correcteur rentre dans les attributions propres du maître, car l’enfant lui est amené par sa mère pour qu’il le châtie. Le lieu du châtiment n’en est pas moins sous l’invocation des Muses. Leur nom est le premier et le dernier que la mère prononce en entrant et en sortant ; il est dans la bouche de l’enfant lui-même pendant qu’on le torture ; leurs images sont dans l’école, car on leur promet comme un spectacle agréable la vue du coupable sautant les entraves aux pieds. Elles