Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est bien ainsi, en effet, que les choses auraient dû se passer à en juger par les promesses que fit, en 1879, le gouvernement prussien, lorsque, présentant à la chambre des députés ses premières propositions de rachat, il eut à s’expliquer sur la ligne de conduite qu’il entendait suivre à l’égard des chemins de fer. En réalité, ces propositions avaient pour point de départ des considérations d’ordre tout différent, car elles constituaient, dans l’esprit de M. de Bismarck, le complément indispensable d’une série de mesures propres à fortifier la puissance militaire du royaume et à assurer sa suprématie politique sur les autres parties de l’empire allemand. Mais ce véritable motif fut, en partie, laissé dans l’ombre, et si les considérations militaires permirent de triompher de la résistance de quelques députés, c’est en parlant de réformes, d’améliorations et surtout d’abaissement des tarifs, que le gouvernement rallia à ses projets la majorité des suffrages.

Il avait d’ailleurs beau jeu, à certains égards, pour critiquer l’état de choses existant et pour dépeindre sous des couleurs attrayantes les avantages à attendre du régime futur. La multiplicité des administrations de chemins de fer présentait de nombreux et sérieux inconvéniens ; elle empêchait ou rendait très difficile l’établissement de tarifs communs, de trains directs et de correspondances ; les tarifs, jusque-là compliqués et arbitraires, étaient, il est vrai, en voie d’uniformisation et de simplification ; mais leur réforme commençait à peine à voir le jour, et les plaintes que l’ancien régime avait soulevées n’avaient pas encore cessé de se faire entendre. Ajoutons à cela que l’enchevêtrement des réseaux avait conduit certaines compagnies à une concurrence ruineuse, aussi bien par les trop bas tarifs concédés que par les dépenses inutiles ou exagérées faites par chaque administration pour retenir le trafic sur ses rails et le détourner du réseau concurrent.

Aussi, dans l’exposé des motifs des projets de loi de 1879, le gouvernement prussien n’eut-il pas de peine à faire ressortir les inconvéniens de cette situation et la nécessité d’y porter remède ; il saisit cette occasion pour formuler, sur le régime général des chemins de fer, des appréciations qui constituaient tout ensemble une profession de loi et un programme. À l’entendre, les compagnies privées étaient pénétrées de l’esprit de lucre et du souci du dividende, et se montraient réfractaires à toute amélioration de service, à toute réduction de tarifs. L’État seul était à même d’exploiter les chemins de fer d’une manière conforme à l’intérêt public ; non-seulement son action devait se manifester par un emploi plus judicieux et plus équitable des capitaux consacrés aux chemins de fer, par une exploitation plus rationnelle et plus