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libres. Un détachement de la milice citoyenne était chargé de protéger leur sortie du palais et de veiller à leur sûreté, « quoiqu’ils n’eussent rien à craindre pour leurs personnes. » Ce déploiement de troupes, ces précautions n’étaient, quoi qu’en dise le procès-verbal, nullement superflus. Il ne manquait pas, dans la ville, de gens qui jugeaient M. de Rions et ses compagnons de bonne prise, et qui n’admettaient pas que le peuple, après avoir mis la main sur ces aristocrates, fût assez sot pour les lâcher. Un témoignage important nous est fourni, sur ce point, par une lettre que le commandant intérimaire de la Marine, M. de La Roque-Dourdan, écrivit ce jour même (15 décembre 1789) au maire-consul[1]. Il supplie M. Roubaud de ne laisser entrer au palais que des hommes absolument sûrs. Les ouvriers de l’arsenal ont tenu « des propos affreux et menaçans. » On ne peut douter que le projet de massacrer les officiers, au moment où ils seraient mis en liberté, n’ait été formé par des forcenés dont la doctrine simple et expéditive n’avait en somme que le défaut d’être de quelques mois en avance sur l’époque. Il semble que, plus on étudie la révolution, et plus on se convainc que les procédés terroristes ont été, non-seulement antérieurs à la date qu’on signale d’ordinaire comme étant celle de leur apparition, mais encore tout à fait indépendans, au début, des causes qu’on présente comme explication, sinon comme excuse de leur emploi. La Terreur est née avec une promptitude et une spontanéité effrayantes, non de l’émigration, non de la guerre étrangère et de l’invasion, mais de la révolution même ; elle a existé en actes, longtemps avant d’être réduite en théorie, codifiée, si l’on peut dire, par ses organisateurs définitifs ; elle a jailli comme un irrésistible instinct de représailles, de l’âme obscure, tourmentée, de ce peuple convié brusquement à la liberté, sans initiation préalable ; de ce peuple opprimé, pressuré pendant des siècles et dont la première impulsion a naturellement été celle d’une haine féroce contre ses durs maîtres de la veille : quelque chose comme la saturnale sanguinaire d’une chiourme tout à coup déchaînée qui fait main-basse sur ses geôliers.

Cependant la municipalité, après avoir avisé les détenus de leur prochain élargissement, s’était rendue en corps au palais de justice afin de le leur notifier officiellement. Le maire ayant cru devoir s’étendre, en considérations banales, — et d’une sincérité passablement suspecte, — sur « le plaisir que le conseil éprouvait à exécuter le décret de l’assemblée, » M. de Rions, parait-il, « reçut fièrement » cette communication. On le mit au courant des

  1. Archives de Toulon. — Lettre de M. de La Roque-Dourdan au maire-consul, du 15 décembre 1789.