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auraient pu être employées avec le même succès deux semaines auparavant. Si l’on admet que la municipalité eut raison de les prendre le 15, il faut en conclure qu’elle commit une faute impardonnable en les négligeant le 1er , et que, par conséquent, une lourde responsabilité lui incombe dans les événemens qui signalèrent cette journée.

M. de Rions se proposait de passer quelque temps à Toulon avant de partir pour Paris, où il voulait aller demander, à l’assemblée et au roi, réparation des traitemens qui lui avaient été infligés. On lui fit comprendre que ce séjour pouvait présenter des inconvéniens et même des dangers ; il résolut donc de partir immédiatement. « Hier, monsieur, écrivit-il à M. Roubaud dès le lendemain de son élargissement, vous me parûtes si peiné de voir que mes affaires m’obligeraient à rester quelques jours à Toulon, que je m’empresse d’avoir l’honneur de vous prévenir que mon séjour y sera plus court que je ne l’avais d’abord imaginé. Je partirai demain à quatre heures du matin, si vous avez la bonté de me donner les portes pour cette heure-là[1]. » Il demandait en même temps au maire-consul de prendre les précautions nécessaires pour que sa femme et sa fille, la marquise de Colbert, qui se proposaient également de quitter Toulon, « ne fussent pas insultées. » M. Roubaud n’ayant pas cru devoir répondre à cette lettre, le commandant de la marine lui fit tenir, le soir même, à minuit, le billet suivant : « M. d’Albert en partant ne peut se dispenser de témoigner à M. Roubaud combien il trouve dur qu’il n’aye pas daigné lui donner les éclaircissemens qu’il a eu l’honneur de lui demander, relativement au départ projette de mesdames d’Albert et de Colbert ; c’est une inquiétude de plus qu’il emporte avec lui et que M. Roubaud aurait pu lui épargner. Voudra-t-il bien du moins prendre la peine de faire dire à ces dames sur quoi elles peuvent compter[2] ? »

Malgré le passeport délivré par la municipalité, qui faisait mention du décret de l’assemblée nationale[3], ce ne fut ni sans difficultés ni même sans périls que M. de Rions accomplit ce simple voyage. Des murmures, des menaces l’accueillaient partout au passage. À Aix, la populace ne se contenta pas de l’invectiver grossièrement : elle se rua sur lui, voulut le saisir, et le vaillant compagnon d’armes de d’Estaing et de Suffren, le héros de la guerre d’Amérique, où il avait versé généreusement son sang pour la liberté d’un peuple, allait être assommé comme un bœuf ou hissé à quelque lanterne, si

  1. Archives de Toulon. — Lettre de M. d’Albert de Rions à M. Roubaud, du 16 décembre.
  2. Archives de Toulon. — Lettre de M. de Rions à M. Roubaud, du 16 décembre, à minuit.
  3. Moniteur. — Séance du 21 décembre 1789. Procès-verbal.