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saute aux yeux ; la pièce n’est plus compréhensible, si vous l’arrêtez à mi-chemin. La Révolution sans Napoléon, c’est une demi-oscillation du pendule ; l’intelligence en souffre comme d’une dérogation aux lois de la pesanteur. L’étroite relation des parties au tout a été mise en pleine lumière dans les beaux travaux de M. Sorel, au moins pour l’action extérieure de la Révolution, pour l’accomplissement du grand mandat français dans le monde. Si M. Aulard vénère la Révolution, je ne comprends pas qu’il se déchaîne contre l’empire ; c’est de la politique rétrospective au jour le jour ; ce n’est plus la liaison des vues historiques. Béranger et les républicains de son temps avaient un sens plus fin de l’union intime entre les deux faces du Janus révolutionnaire.

La critique des principes de 1789 par la science contemporaine indigne M. Aulard. Il repousse énergiquement « les agressions des réactionnaires, des théologiens, des néo-chrétiens » contre ces principes, contre « le prétendu individualisme » de la Révolution, dénoncé par « cinq ou six messieurs. » J’en connais et tout le monde en reconnaîtra deux, qui eussent été fort surpris de ces qualifications : Taine et Renan. Quoi que vous fassiez, quelques feintes que vous tentiez contre de plus humbles adversaires, vous n’échapperez pas à ces deux terribles démolisseurs ; vous êtes pris entre le bélier de l’un et le pic de l’autre. On n’attend pas que je rappelle la forte argumentation de Taine contre l’esprit de la Révolution ; et je ne puis pourtant pas citer une fois de plus la page fameuse des Questions contemporaines, où Renan a résumé la pensée qu’il développe en cent autres endroits. «… Ceux qui liquidèrent si tristement la banqueroute de la Révolution, dans les dernières années du XVIIIe siècle, préparèrent un monde de pygmées et de révoltés. » Nous tous dont l’esprit a été formé en partie par ces deux hommes, nous ne faisons qu’appliquer leurs leçons. — Avec beaucoup de corrections, on l’accordera, avec une indifférence croissante pour la critique métaphysique. Quand on nous présente la Déclaration des droits comme un dogme révélé, comme des formules cabalistiques où résiderait une vertu sacramentelle, nous sommes tentés d’en appeler aux dialecticiens qui ont crevé ce ballon mystique ; et si l’on veut tirer de cette déclaration les déductions logiques qui conduisent à l’absurde, nous vérifions l’infirmité de quelques prémisses. C’est un produit de la raison, toujours justiciable de la raison, un système philosophique comme tant d’autres, avec ses parties fortes et ses parties faibles : ni plus, ni moins. Avec un peu de sincérité, nous reconnaîtrions tous que nous cédons à la griserie de la dialectique, lorsque nous nous échauffons pour ou contre ce baralipton moderne. Plus on va, plus on se désintéresse de ces inutiles querelles de mots. J’aurais trop