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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/229

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on les connaît ; conception mécanique du monde, déterminisme inflexible, hérédité, évolution, lutte universelle, écrasement du faible par le fort. Seraient-ce là des règles pour la conduite ? Non. Si le bien et le mal ne sont pas de vains mots, si le cri général de la conscience humaine n’est pas une chimère, l’exemple que donne l’univers est mauvais. On pourrait presque poser en principe que, pour bien vivre, l’homme doit prendre le contre-pied des indications de la science. Une lampe merveilleuse verse des torrens de lumière sur tout le pays où nous voyageons ; elle est impuissante à éclairer la route où nous marchons ; si nous nous fions à sa clarté, nous trébuchons à chaque pas ; il faut porter sur cette route un autre luminaire.

Le divorce s’accuse chaque jour davantage entre la science et la conscience. Dans l’ordre des recherches que l’on appelle de ce nom très sujet à caution, les sciences morales, l’économie politique a continué la dernière à conformer ses enseignemens au jeu des lois naturelles ; la voici contrainte de battre en retraite, le sentiment public est unanime à réprouver le « laissez faire, laissez passer. » Tant que nous garderons une illusion de libre arbitre, ou que nous agirons comme si nous l’avions encore, — et le philosophe le plus convaincu n’agit pas autrement, — les mouvemens instinctifs du cœur essaieront de corriger la cruauté du déterminisme scientifique. De savoir où la conscience doit prendre son point d’appui, c’est une autre question, dont nous n’avons que faire pour l’instant. Il me suffisait de fixer les limites de la science ; vous ne pouvez pas les étendre, à moins de travestir ses conclusions les mieux acquises. Elle est objet de curiosité, agrandissement de l’esprit, instrument de domination sur le monde et d’amélioration de notre existence matérielle ; elle n’a rien à démêler avec la direction de la vie morale, avec des rapports sociaux qui ne sont humains qu’à la condition de contredire les rapports des phénomènes dans l’univers. Quand vous déclamez contre le mysticisme qui voudrait restreindre le culte de la science, vous faites vous-même du mysticisme scientifique, en dehors de toute réalité ; et vous ne le pouvez pas défendre devant une analyse un peu attentive.

Je ne suivrai pas M. Aulard sur le terrain des controverses théologiques. Ni lui ni moi nous n’avons le savoir nécessaire pour nous y aventurer. Je n’ai en outre ni goût, ni vocation, ni droits acquis à catéchiser. Au prix d’une légère contradiction, le conférencier se donne le double plaisir de me dénoncer comme sermonnaire laïque, sur une citation, et comme clérical, sur une autre, parce que j’ai dit des prédicans en redingote qu’ils feraient bien de laisser le prêche au curé. C’est en effet mon avis. Mais tout écrivain, lorsqu’il