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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/301

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fier de sa tunique bleue et de ses boutons de cuivre, un juif en culottes sales, une khanoum étroitement masquée de gaze noire, emmaillotée d’un feredgé de soie et faisant claquer sur les pavés la semelle de bois de ses patins. On ne voit, des femmes turques, que leurs pieds, qui sont presque toujours très grands, et, à travers les mailles du yachmak, l’éclat de leurs yeux qui sont souvent très beaux. Elles ont une allure lente, un peu paresseuse et molle. Quand elles parlent, un doux gazouillement sort de dessous leurs voiles ; leur voix est caressante et plaintive ; elles semblent résignées à leur vie solitaire et recluse.

Les consulats des puissances européennes sont presque tous rassemblés au bout de la rue Franque. La plupart des maisons consulaires arborent, sur leur façade, des écussons richement armoriés. Le panonceau des Italiens est tout battant neuf et de proportions démesurées. Devant la maison de France, dans un grand jardin de platanes et de sycomores, les trois couleurs flottent au sommet d’un mât. Elles ont vraiment une belle allure, une fierté superbe et tutélaire, ainsi placées très haut, planant dans ce ciel où elles ont été si souvent, pour les opprimés et les faibles, un signe de ralliement, de salut et d’espoir. Il faut souhaiter qu’un écrivain de grand cœur et d’esprit patient entreprenne un jour de raconter, pièces en main, l’histoire détaillée des consulats français dans les Échelles, moins encore pour rappeler à notre amour-propre le temps glorieux où le sultan, recevant le marquis de Nointel, reconnaissait la préséance de notre ambassadeur sur les envoyés des autres rois et princes chrétiens, que pour faire voir le secours efficacement prodigué en Orient par les représentai de la France, sous tous les régimes et en dépit de tous les obstacles, à la cause de la justice, de la tolérance et de la liberté. C’est à notre suite, c’est à l’abri de notre pavillon, que nos rivaux d’aujourd’hui sont entrés dans le Levant. Il faut le redire à tous ceux qui seraient tentés de l’oublier. Comme rien ne peut prévaloir contre de pareils souvenirs, le consul-général de Smyrne est encore, par le prestige dont il est entouré, le premier personnage du corps consulaire[1]. Mais sa grandeur n’est point une sinécure, et, si ses kavas sont beaux, si son train est magnifique, en revanche sa tâche est lourde. Il doit protéger, surveiller, et, au

  1. Qu’il me soit permis de remercier ici, pour sa cordiale hospitalité, et pour l’efficacité de son appui, M. le consul-général Champoiseau, aujourd’hui ministre plénipotentiaire et correspondant de l’Institut. L’heureux explorateur, à qui les savans et les artistes doivent la découverte de la Victoire de Samothrace, était, pour mes camarades et pour moi, non-seulement un protecteur dévoué et un conseiller précieux, mais encore un glorieux devancier dont l’exemple nous animait à la recherche.