et quand, avec l’aide de tout ce monde, il eut recueilli l’argent nécessaire pour acheter les maisons qui lui convenaient, il y fonda l’établissement auquel il avait songé toute sa vie et qui a pris son nom.
L’originalité de la Sorbonne, c’est qu’elle n’était pas un couvent et qu’elle en tenait lieu. Les clercs, qui s’y réunissaient, n’étaient liés par aucun vœu particulier ; ils ne prenaient d’autre engagement que de respecter les usages de la maison. On entrait dans la société et on en sortait librement, et, pendant qu’on y séjournait, chacun y gardait toute l’indépendance compatible avec la régularité des études. Si l’on songe que nous sommes au moyen âge, dans le plein épanouissement de la vie monastique, on sera d’avis que cette création n’était pas l’œuvre d’un esprit ordinaire.
« La communauté des pauvres maîtres étudiant en théologie, » c’est ainsi qu’on l’appelait, se composait d’une trentaine de membres, hôtes ou associés, qui n’étaient reçus qu’après avoir passé par une double épreuve, une enquête et un examen. L’enquête, portait sur la moralité et le caractère ; l’examen consistait en une thèse que, du nom de Robert, on appelait la Robertine. Les associés, une fois admis, ne vivaient pas tout à fait en commun ; chacun avait sa chambre, où il pouvait recevoir ses amis du dehors ; seules les femmes n’entraient jamais dans la maison : on se méfiait de ce qu’on appelait le sexe tentateur, sexus insidiator. On se réunissait au réfectoire, à la bibliothèque et dans les salles d’exercice. Les études qu’on faisait à la Sorbonne étaient les mêmes qu’ailleurs : il n’y avait pas alors deux méthodes d’enseignement. On commentait la Bible et le Livre des sentences, de Pierre Lombard ; on s’exerçait à la dispute et au sermon. Le plus grand nombre des écoliers cherchait à obtenir la licence, quelques-uns poussaient jusqu’au doctorat. Le séjour qu’on faisait dans la maison était de sept ans en moyenne, il ne s’est jamais prolongé au-delà de dix. Mais, en la quittant, les associés ne rompaient pas tout lien avec elle, et ils étaient fiers qu’on les appelât « docteurs de Sorbonne. » Tous portaient le nom de « pauvres clercs, » car tant qu’ils demeuraient ensemble, il ne fallait pas qu’il y eût de différence entre eux ; mais ils n’étaient pas tous boursiers ; on faisait payer ceux qui le pouvaient, et l’argent des riches servait à entretenir les autres. Ce n’était pas tout, et l’ingénieuse charité de Robert s’était étendue plus loin. Les économies qu’on pouvait faire sur les revenus de la maison, et qui provenaient d’une habile administration et d’une épargne rigoureuse, ne devaient pas être mises de côté ; on les dépensait pour l’entretien d’autres clercs plus misérables encore, qu’on appelait « les bénéficiaires. » On leur avait ménagé un logement plus modeste, à l’extrémité de la maison ;