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grec. Mais il fallait faire ratifier la convention par la princesse de Morée et les nobles dames qui, en l’absence de leurs maris, gouvernaient la principauté et avaient opposé à l’ennemi la plus vigoureuse résistance. Elles se réunirent solennellement à Nichi pour délibérer là-dessus. Cependant Guy de La Roche, grand sire d’Athènes, vaincu quelques années auparavant dans un différend avec le prince de Morée, revenait de France, où il s’était soumis à l’arbitrage de saint Louis. En apprenant les conditions du traité, il s’indigna, et, prenant la parole devant le parlement féminin, il offrit de tenir prison en la place de son prince, ou de mettre en gage tout son patrimoine pour sa rançon ; mais, ajoutait-il, gardez-vous, dames qui m’écoutez, de céder les places, car si l’empereur les possédait, bientôt s’affranchissant de son serment, il enverrait des troupes nombreuses pour nous chasser de cette terre et nous dépouiller de nos biens. D’ailleurs, de quoi étaient menacés les captifs ? Si l’empereur les gardait en son pouvoir, pense-t-on qu’il les mangerait au sel ? Non, il aimerait mieux recevoir une bonne rançon. — Alors Geoffroy des Bruyères, député des captifs, prit la parole, et retraçant leurs dures souffrances, ces trois ans passés dans les fers, il peignit fortement les dangers qui menacent les peuples privés de leurs seigneurs, l’affront d’un refus, le sort qui les attendait s’ils demeuraient entre les mains de l’ennemi. Il obtint gain de cause, et, détail piquant, deux dames, la fille de Jean de Neuilly, maréchal de la principauté, la sœur de Calderon, qui fut plus tard grand connétable, allèrent à Constantinople servir d’otages et garantir l’exécution du traité. La prophétie de Guy de La Roche ne se réalisa point, la principauté continua de prospérer, se soutint longtemps encore après la conquête de l’empire par les Turcs. Un parlement de dames au XIIIe siècle, des châtelaines prononçant sur le sort de leur patrie, une Iliade comtoise en Grèce, l’histoire a de ces singuliers hasards, et l’on ne s’attendait peut-être pas à rencontrer ici un argument en faveur de l’émancipation du sexe féminin.

Malgré la diversité des races, lois et coutumes, la Comté de Bourgogne demeure terre d’empire par la puissance du lien historique et du droit public, par la gardienneté des abbayes, des grandes causes féodales portées au tribunal de Besançon. Droit plus nominal que réel, reconnu à plusieurs reprises par les princes de la maison de France, souvent disputé par les barons comtois. L’impératrice Béatrix étant morte en 1185, et son héritage de comté se trouvant dévolu à l’un de ses fils le comte palatin Othon Ier, la branche cadette évincée par Barberousse appelle les seigneurs aux armes, déchaîne une guerre des Deux-Roses qui se poursuit quatre-vingts ans avec des fortunes diverses : longue