Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VOYAGES D'EMPEREURS

Il y a trente-trois ans, en 1860, le comte de Cavour, une fois entre autres, fut prophète : « Si les Italiens, s’écria-t-il, en sont déjà à considérer la Prusse comme une alliée naturelle, les Prussiens ne tarderont pas à partager les mêmes sentimens. » Cavour poussait même plus loin. « Avec l’intuition qui caractérise les grands politiques, il semblait prévoir que, l’œuvre italienne achevée, la France pourrait bien faire un retour sur elle-même, s’apercevoir qu’elle avait sacrifié à de faux dieux les conditions de sa sécurité et de sa grandeur et qu’alors la Prusse et l’Italie seraient nécessairement amenées à défendre en commun leurs principes et leur indépendance, quel que fût le côté d’où surgiraient les dangers et les complications[1]. »

À partir de ce jour-là, l’Italie, on peut le dire, était en route pour Berlin. C’est, depuis quelque temps, un sujet d’âpres polémiques entre les journaux dévoués au Vatican et ceux qui ont leurs attaches au Quirinal, que de savoir s’il y a plus de chemins qui « du pays de Luther conduisent à Rome » ou plus de chemins qui « de Rome conduisent au pays de Luther. » Historiquement, cette grave question ne se pose point ; elle est tranchée. Sur le tortueux sentier de la politique internationale, l’Italie s’est mise en marche la première, mais l’Allemagne l’appelait ; ensuite, elle a appelé l’Allemagne ; non pas même ensuite, — tout de suite : l’Italie n’allait à Berlin que pour amener l’Allemagne à Rome.

Elle l’a attendue dix ans, mais enfin les empereurs sont venus : après dix ans, le kronprinz Frédéric ; après quinze ans, César, le kaiser, l’empereur Guillaume II, qui revient pour la seconde fois,

  1. G. Rothan, l’Allemagne et l’Italie, 1870-1871, II, l’Italie, introd., p. 8.