Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y a-t-il d’autres princes ? L’archiduc Rénier ? Un Autrichien, un vrai Tedesco. Le grand-duc Wladimir ? Un Russe. — Ave, Cæsar, imperator !

On eût juré que tout le sang de Rome s’était transfusé dans ses veines et que le cœur de la ville éternelle, ce cœur qui bat depuis deux mille six cent quarante-huit ans, réglait son rythme sur les battemens de son cœur. Que faisait l’empereur ? Qui recevait-il ? Où allait-il ? Quel uniforme portait-il, celui de hussard ou celui de cuirassier, le kolback ou le casque ? Durant la semaine impériale, personne ne s’est souvenu que la reine d’Angleterre était à Florence et qu’elle ne venait pas à Rome. Les bals succédaient aux dîners, les excursions aux garden-parties, le tournoi à la revue. Les palais des grands patriciens, à l’ordinaire fermés comme des tombes, ont ouvert leurs portes sculptées et ornées de clous d’une livre. Le rayonnant et triomphant empereur a levé la pierre de ces sépulcres. Les Doria, les ducs de Sermoneta et de Ceri, se sont disputé l’honneur d’abriter une de ses heures. Ses éperons ont sonné sur les dalles de marbre et sur les marches des escaliers qu’ont balayés de leur traîne les soutanes des papes. Précédé de Suisses empanachés, escorté de gentilshommes qui portaient des flambeaux et de valets en costumes anciens, dans un murmure de soie et de brocart, sous les plafonds de cèdre à caissons, chefs-d’œuvre d’artistes inconnus, il a passé chez les Caëtani, et le buste de Boniface VIII a regardé avec étonnement le César germanique à qui ses petits-neveux rendaient hommage. En vain, par une fantaisie bizarre, dans les représentations d’Ernani, les chanteurs ont substitué le nom d’Humbert au nom de Charlemagne : à Rome, pendant ces derniers jours, Charlemagne, ce n’était pas le roi.

Le dimanche, l’empereur a repris, comme il l’avait pris en 1888, le chemin de la légation de Prusse près le saint-siège. À la table de M. de Bulow, successeur de M. de Schlœzer, il s’est assis entre le cardinal Mocenni et le cardinal Ledochowski. Qu’en pense, à Friedrichsruhe, le prince Bismarck ? Qu’en a pensé M. de Lucanus, à Rome même ? Le cardinal secrétaire d’État, malade, s’était excusé. De quoi Guillaume II et le substitut de la secrétairerie ont-ils pu s’entretenir ? De chasse peut-être, car le cardinal Mocenni est un chasseur infatigable. Peut-être de cet étrange diplomatie des quadrupèdes, à laquelle le saint-siège est obligé de recourir. Le déjeuner fini, les décorations données, l’impératrice est venue rejoindre son époux ; les carrosses allemands étaient prêts ; on s’est dirigé vers le Vatican.

C’était bien un train de gala ; coureurs, postillons, écuyers et heiduques ; toute la suite de l’empereur, toute celle de l’impératrice : le général von Hahnke, chef du cabinet militaire, ancien précepteur