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neux que j’ai déjà cité. Enfin, j’ai sous les yeux une copie à l’aquarelle d’un prétendu Velasquez dont il ne put faire accepter l’authenticité par les amateurs de Madrid et auquel il crut jusqu’au bout, comme il crut à l’innocence de Libri. Cette copie, faite pour être soumise aux amis de la comtesse de Montijo, donne l’idée de ce qu’il pouvait faire en s’appliquant. Le travail est très serré ; c’est vigoureux, fin et sec : du vrai Mérimée.

Fils d’artistes, grandi dans le milieu où se forment les sculpteurs et les peintres, il assistait de près à une révolution du goût et à la naissance d’une esthétique nouvelle ; il prenait sa part des discussions parmi lesquelles elle vint au monde. Il était lié avec David d’Angers, Devéria et Delacroix. Mais je ne vois aucune trace de leur influence sur ses idées, et j’en vois encore moins de son influence sur leurs œuvres. On lit dans les notes d’Eugène Delacroix : — « M… me disait : — Je définis l’art, l’exagération à propos. » — Et pourquoi ? Parce que les anciens employaient, dans leurs théâtres, des masques, des porte-voix et des cothurnes. M. Tourneux veut que ce M… soit Mérimée. C’est possible, mais ce n’est pas sûr. La définition est subtile ; elle peut être juste, en beaucoup de rencontres. Si je ne me trompe, elle s’applique mal à Mérimée. On le trouve plus souvent en-deçà qu’au-delà. Il appartient à l’art qui suggère, non à l’art qui exagère.

Mérimée ne voulait pas qu’on oubliât de subordonner la peinture et la sculpture à l’architecture qui, par deux fois, leur a donné naissance. C’est dire qu’il abordait les questions de ce genre en historien plutôt qu’en philosophe. Ce point de vue ne convenait pas mal à un inspecteur des monumens, qui doit être surtout sensible au rôle décoratif de la peinture et de la sculpture. Ses rapports sont des essais de critique architecturale suivant le précepte de Beyle : « Juger d’un art d’après les règles techniques et non d’après une impression dramatique, une émotion littéraire. » La crainte de n’être pas compris ou d’ennuyer retient d’ordinaire les critiques qui s’adressent au public. Maison ne craint jamais d’ennuyer un ministre. Pour pratiquer cette méthode, il fallait des connaissances spéciales : Mérimée se les donna. Il avait appris à mouler ; il parlait savamment de stylobate et d’archivolte, de voussure, de frette, de meneau et de modillon, mais l’âme de l’architecture gothique lui resta inconnue. Il démêlait fort bien ce que cette architecture devait au roman et au byzantin, mais il ignora toujours ce qu’elle devait à la religion.

Il explique, par des raisons scientifiques, que l’ogive n’est pas, comme le veut l’opinion vulgaire, ce qui caractérise le gothique. L’ogive ne fut, pense-t-il, au début, qu’un pis-aller, un expédient de constructeurs ignorans pour masquer les irrégularités de leur bâtisse. Le plein cintre demeurait pour eux le style noble, le type