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dom Juan de mettre l’armée en seureté : « Nous avons encore le temps, luy dit-il, de faire passer nostre infanterie au-delà du canal, et de nous retirer le long de l’Estran avec la cavalerie. — Nous retirer ! dit alors dom Juan ; oh ! monsieur, voicy la plus belle journée qui éclairera jamais les armes de l’Espagne. — Elle sera en effet fort heureuse à l’Espagne, respondit le Prince, si vous consentez que nous nous retirions. » — Dom Juan voulut absolument donner la bataille. L’aisle droite, où estoient les Espagnols, fut d’abord mise en déroute. Le Prince, qui avec ses troupes, presque toutes de cavalerie, avoit la gauche, soutint longtemps l’effort des ennemis ; mais enfin il fut obligé de céder au nombre, et surtout à l’infanterie dans un pays fort coupé, qui l’enveloppa de tous costés et…………………..

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Dans cette page que le peintre de Chantilly[1] nous montre arrachée par Clio du livre de l’Histoire, l’inspiration de Condé se retrouve à chaque ligne, presque sous chaque mot ; ce sont bien les paroles que le fils du héros a pieusement recueillies.

Tout y est, le site, le poste d’infanterie, le débat dans le conseil, l’engagement, les grandes lignes du combat, tout… sauf une omission, omission révélatrice : on ne peut douter que ce soit Condé qui tienne la plume, car elle tombe de ses mains au moment où il faudrait raconter ses prouesses, dire avec quel dévoûment, avec quelle audace, avec quelle habileté, au prix de quels périls il s’efforça de changer le destin de cette bataille livrée contre son avis, contre sa volonté, d’atténuer le revers qu’il avait prévu, comme il fit sous les murs d’Arras, de ramener la victoire qu’on lui dérobait, comme au secours de Valenciennes.

Mais cette justice qu’il dédaigne de se rendre, c’est de l’ennemi qu’il la reçoit ; l’éloge qu’il se refuse à prononcer lui est décerné par son adversaire avec un laconisme dont aucune périphrase, aucune métaphore ne peut surpasser la force et la grandeur : « M. le Prince fit à son ordinaire[2] ! »

  1. Ce tableau allégorique, connu sous le nom de Repentir, a été peint par Michel Corneille II en 1691. Nous ne saurions donner ici la description des toiles qui ornent « la galerie où sont peintes les actions de M. le Prince. » Qu’il nous suffise de dire, pour constater leur valeur historique, que, dès le 9 mai 1687, c’est-à-dire cinq mois après la mort du grand Condé, il en est fait mention dans nos archives. Les ordres avaient pu être donnés par M. le Prince. Les artistes furent dirigés dans tout le détail par son fils : on sait le culte que ce dernier avait pour son père, le soin avec lequel il avait recueilli ses moindres paroles. Le récit de la bataille des Dunes, écrit sous la dictée de Condé, est pleinement confirmé par les relations contemporaines et par les documens originaux que nous avons consultés.
  2. Turenne à Mazarin, 16 juin 1658. (Affaires étrangères.)