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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/494

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front de 1,800 à 2,000 mètres, entre le canal de Furnes à Dunkerque et la ligne de haute mer qui recouvre la plage ou Estran.

Les Dunes ! voilà bien le « poste d’infanterie » que Condé signale ! Amas confus de monticules de sable, aux pentes raides et dénudées, séparées par des vallons sinueux et d’inégale largeur ; la végétation se réfugie sur les sommets : des touffes d’herbe dure et de broussailles couvrent les plateaux dont les dunes sont généralement couronnées. Là l’infanterie peut se loger ; chaque mamelon devient une redoute, et pour chacune de ces petites forteresses il faudra un assaut, à moins qu’un mouvement tournant ne les fasse tomber, car nul terrain ne se prête mieux aux surprises, aux embuscades. Sur la ligne choisie par don Juan, les sables ne s’étendaient pas jusqu’au canal et en étaient séparés par 300 ou 400 mètres de watregans,’prairies marécageuses et coupées de fossés.

L’action de la cavalerie se trouvait ainsi fort limitée ; elle ne pouvait se mouvoir que vers l’Estran avec l’aide de la marée, ou dans le dédale des watregans. L’infanterie d’Espagne ne peut donc compter ni sur le secours de la cavalerie, ni sur l’appui du canon absent. Déjà alors il était téméraire d’exposer l’infanterie aux boulets de l’ennemi sans lui donner le soutien de l’artillerie et la confiance qu’inspire le bruit de la riposte.

La disposition adoptée pour ranger l’armée d’Espagne (environ six mille hommes de pied et huit mille chevaux) ne corrigeait pas le vice de l’emplacement. Don Juan avait mal lu son terrain, mal pris ses distances. Séduit par la hauteur et la forme d’une grande dune sur laquelle se logèrent les vieux tercios, il s’était trop éloigné de la mer ; sa droite dégarnie ne pouvait se prolonger à marée basse sur l’Estran, tandis que sa gauche (Condé), entassée entre les dunes et le canal, sur un sol coupé et incertain, manquait d’espace pour se déployer et agir. Jugeant bien la faiblesse de la position, M. le Prince eut la prévoyance de jeter des ponts sur le canal et d’envoyer de l’infanterie sur l’autre rive[1].

Dans les lignes autour de Dunkerque, l’armée française restait immobile. Turenne ne donnait pas signe de vie.

Nous avons déjà essayé de mettre en relief certains traits de ce robuste génie. Ici encore ils vont reparaître plus nettement accentués : la précision du calcul, la sûreté du jugement, le don d’apprécier le temps aussi exactement que la distance ; la faculté plus rare encore de ne laisser échapper aucun indice de la résolution que le cerveau enfante. Au moment voulu, son plan sort tout machiné,

  1. Instructions de Condé à Guitaut pour les chemins et communications, etc., 13 juin 1658. (Archives d’Époisses.)