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indemnisé. Mérimée sourit : « J’ai, dit-il, chez moi tous les livres nécessaires. Je calcule qu’avec deux mains de papier, une douzaine de plumes d’oie et une bouteille d’encre de la Petite Vertu, je suffirai à tout. Que Votre Majesté me permette de lui faire ce cadeau. » Ce fut au tour de l’empereur de sourire, et Mérimée interpréta ce sourire dans un sens peu favorable à l’humanité. Napoléon III n’avait pas encore été servi pour rien ; il pensa peut-être que ce désintéressement ménageait, pour l’avenir, quelque ruineux appel à sa reconnaissance, quelque grosse et insolite demande, ce que Mérimée appelle en style réaliste « une carotte. » Inutile de dire que la « carotte » ne vint jamais. Mérimée ne voulut, pour sa récompense, que l’estime du maître, plus rare que sa faveur, et le droit d’être franc. Il le fut. Il engagea l’auguste écrivain à ne point s’embarrasser d’une histoire complète de son héros et à se contenter de donner au pubUc ses idées sur le sujet, d’expliquer César en s’expliquant lui-même par le rapprochement des deux époques et des deux situations. C’eût été la Vie de César réduite à la préface. Peut-être le conseil était-il bon. Il ne fut pas suivi. Mérimée apprécia l’œuvre, quand elle parut, en toute sincérité et en toute justice, non-seulement dans ses lettres, mais dans un article du Journal des savans, article agréable aux Tuileries et qui satisfit à la dignité de l’Institut, responsable de ce recueil. Il était de ceux qui, suivant l’expression de M. Lavisse, « plaisent sans flatter. »

Dans sa correspondance avec la comtesse de Montijo, il juge librement les discours de l’empereur, les approuve ou les critique sans embarras. Il en aimait la forme simple et forte et la préférait, je n’en doute pas, à la rhétorique, un peu charlatanesque, des proclamations du premier empire. Quand l’idée et l’expression étaient également de son goût, il était charmé et il lui échappait de dire : « Si l’empereur n’était pas le protecteur de notre Académie, je lui donnerais ma voix pour qu’il en fût[1]. »

M. Louis Fagan, l’éditeur des lettres à Panizzi, se risque à dire que Mérimée n’était pas bonapartiste. Cela est vrai, mais il faut ajouter immédiatement qu’il était plus impérialiste que l’empereur. Si quelques gouttes du sang du grand homme coulaient dans les veines de quelqu’un qui ne lui plaisait pas, ce n’était pas un titre suffisant à son respect. De la légende, il se souciait peu, mais il tenait fort au système ; il s’y cramponnait, de toute l’aversion que lui inspiraient le parlementarisme et la révolution. Il était, proprement, un monarchiste du second empire. Tant que dura la pé-

  1. Correspondance avec la comtesse de Montijo.