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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/580

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attristé Huygens et par un mouvement de mélancolie bien naturel, il s’était reporté au souvenir des jours heureux et aux poésies dans lesquelles il les avait célébrés. Libre de son temps, l’idée lui était venue de recueillir ses vers en un volume qu’il publiait sous le titre de Loisirs, Ledige Uren[1]. Il reçut à cette occasion les complimens les plus flatteurs des amis auxquels il avait envoyé des exemplaires de ce livre, de Hooft, de Reaal, de Vondel et surtout de G. Van Baerle, l’élite des écrivains hollandais de cette époque. Mais ce ne fut là qu’un court moment de repos dans la vie de Constantin, car le jour était proche où il allait mener une existence de plus en plus remplie.

Quelques semaines après la mort du prince Maurice (23 avril 1625), Frédéric-Henri, son frère, qui lui succédait comme stathouder, attachait Huygens à sa personne en qualité de secrétaire. Tout justifiait un pareil choix, l’honorabilité de la famille de Constantin, les services rendus par son père, ceux de son frère au conseil des États, la façon dont lui-même s’était acquitté des différentes missions qu’il avait remplies à l’étranger. Cette nomination avait donc été accueillie de tous côtés avec une grande faveur.

Le 18 juin 1625, Huygens fut installé par le prince dans ses nouvelles fonctions et cette année il n’eut guère à quitter La Haye. La lutte avait épuisé la Hollande et l’Espagne ; toutes deux avaient besoin de se refaire un peu avant de recommencer la campagne. Le prince s’était donc occupé surtout de négociations diplomatiques avec la France et l’Angleterre. Mais en 1626, les hostilités ayant été reprises, Frédéric-Henri était parti le 20 juillet pour le camp. Par malheur, au moment de l’accompagner, Huygens tomba malade et sévit obligé de garder le lit. On peut penser l’ennui qu’il avait éprouvé de ce contre-temps et la hâte qu’il eut d’en abréger le terme. Ce ne fut pourtant que le 15 septembre qu’il put enfin rejoindre son maître. Malgré ce retard, il eut tout le temps de se familiariser avec son nouveau service, car l’armée ne reprit ses quartiers d’hiver que le 20 novembre. Le 23, au lieu de retourner avec le prince à La Haye, où l’attendait sa mère, Constantin se rendit à Amsterdam. Il y était attiré par la présence de sa cousine Suzanna Van Baerle dont son frère Maurice avait été plusieurs années auparavant fort épris et que Christian, son père, désirait vivement lui voir épouser. Mais la jeune fille n’avait pu s’y décider ; peut-être avait-elle déjà une secrète préférence pour Constantin. Suzanna était une jolie brune, aux yeux pétillans d’esprit, qui peignait et chantait en s’accompagnant elle-même avec beaucoup d’agrément. Sans parler de sa richesse, sa beauté et l’enjouement

  1. Constantini Hugenii equitis Otiorum libri sex ; La Haye, Arn. Meuris, 1625.