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tout entière, et il ne se laissait guider que par des considérations exclusivement patriotiques. À un courtisan qui, en 1647, semblait insinuer qu’il trouvait également quelque profit à soutenir ces vues, il pouvait fièrement répondre : « Je ne suis ni à vendre, ni vendu ailleurs qu’ici, et pour que j’obéisse à un maître et l’aide à procurer le bien d’un seul État, il n’y a ni Majesté, ni Éminence qui me puisse rien demander. »


III.

Avoir le temps que Huygens consacrait aux devoirs de sa charge, on serait en droit de penser qu’ils suffisaient à remplir sa vie. Comme il le disait lui-même dans un mémoire qu’il adressait à la princesse de Solms, parmi « tous les domestiques » de la maison du prince, il ne croyait pas qu’il s’en pût trouver un seul qui eût aussi bien que lui fait « le chien d’attache et sans demander jamais aucune relasche. » Obligé parfois de négliger ses propres affaires et jusqu’au soin de sa santé, se refusant tout ce qui passe pour des plaisirs ou des distractions, choisissant exprès soit à la ville, soit à la campagne, la demeure la plus proche de celle de son maître afin de se tenir toujours « en lieu propre et en état d’accourir au premier commandement, » appelé fréquemment hors de son lit, Constantin, en dépit de tout ce zèle, ne pensait jamais qu’il en avait fait assez. Mais son activité était extraordinaire et dès qu’il avait un moment de liberté, dût-il le prendre sur les heures de la nuit, il savait comment occuper ses loisirs. Huygens était, en effet, un écrivain et un poète et, à ce titre, ses œuvres aussi bien que l’influence qu’il a exercée sur ses contemporains méritent d’attirer notre attention.

À la suite des luttes opiniâtres qui avaient assuré son indépendance, la Hollande était entrée dans une période de calme relatif. Des écrivains tels que Coornhert, Dirk Camphuysen, H. Spieghel et Roemer Visscher, en même temps qu’ils travaillaient à fixer la langue, préparaient cette pacification des esprits à laquelle Hooft surtout devait attacher son nom. On sait quelle haute situation le châtelain de Muiden occupait parmi les lettrés d’alors. Riche, avenant, honoré de la considération publique, bornant toute son ambition au poste de gouverneur du Gooiland, il avait su grouper autour de lui, dans sa résidence, un cercle de beaux esprits auquel les filles de Roemer Visscher, Anna et Tesselschade, ajoutaient ce charme souverain qu’ont célébré à l’envie tous les poètes qui les ont approchées. Avec son esprit élevé, ennemi de toute exagération, Hooft aimait à accueillir chez lui, sans aucune distinction de croyances, une élite d’hommes remarquables. Dans sa maison hospitalière, dont Christina van Erp et après elle Leonora Hellemans,