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ne prétendez à tout comprendre ; faites des sacrifices volontaires. On a déjà taillé dans l’œuvre touffue ; pratiquez-y d’autres coupes en esprit. Ne retenez du sujet que les traits principaux, et cette idée essentielle que nous sommes ici en pleine légende, hors de l’humanité, ou plutôt au-dessus ; « nous l’allons montrer tout à l’heure. »

Quant au système wagnérien, il est désormais assez connu pour que nous n’ayons pas à y revenir. On sait qu’il consiste essentiellement en trois procédés : la primauté de l’orchestre ; l’usage, allant volontiers jusqu’à l’abus, du leitmotiv, et la continuité du discours musical, autrement dit la mélodie, et trop souvent la mélopée, infinie.

Et maintenant, plaira-t-il à nos lecteurs de suivre avec nous l’œuvre nouvelle, et de la suivre en totalité, drame et musique à la fois ? Il convient peut-être de ne pas séparer ce que le dieu de Bayreuth a uni, et de juger d’ensemble, ainsi qu’il a créé. Aux spectateurs d’hier rappelons ce qu’ils ont entendu ; annonçons à ceux de demain ce qu’ils vont entendre, trop heureux si les uns peuvent trouver dans notre pensée des points de contact ; les autres, des points de repère.

Si nous enveloppons d’un seul regard le premier acte de la Walkyrie, il nous apparaîtra comme une progression constante, presque sans arrêt ni recul, comme un crescendo parti pour ainsi dire du néant, du silence et de l’immobilité, et qui atteint par degrés à un paroxysme de mouvement et de son, à la plénitude, voire au débordement de la vie. La musique jamais n’a mérité mieux qu’ici la définition que donne, je crois, Hernani de lui-même : « je suis une force qui va. » Tel le premier acte de la Walkyrie. Il est même la somme de deux forces : l’une musicale, l’autre dramatique ; car l’accroissement sonore ne fait que manifester un accroissement, chez les personnages, de sentiment et de passion, la conscience de plus en plus intense chez Siegmund et Sieglinde de leur vocation héroïque, la prise de possession par l’un et par l’autre d’une vie surnaturelle et d’un être presque divin. De cet acte, voilà la beauté générale, dont les belles pages forment les étapes ou les degrés.

Après les rafales de l’introduction, le rideau se lève sur une hutte primitive ; un frêne occupe le milieu de la cabane et soutient la grossière toiture ; un reste de feu meurt dans l’âtre. Brusquement la porte s’ouvre, un homme passe le seuil ; épuisé de fatigue et ruisselant de pluie, il tombe auprès du foyer : c’est Siegmund. Sieglinde alors paraît, elle aperçoit l’étranger, l’interroge ; il ne répond que par un gémissement : « De l’eau ! » Sieglinde se hâte d’aller puiser à la source prochaine, revient et verse au malheureux la fraîcheur implorée. Ce début est plein de mystère : les notes rares, les phrases courtes et coupées de silences, les sonorités basses, tout y exprime la faiblesse,