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comme personne n’a jamais mesuré ces dix kilomètres, il se peut qu’il y en ait cent. De temps à autre un article paraît dans un journal, une question est posée à la tribune : on nous a volé un sultanat, une tribu, une vallée, au nord ou au sud de l’Oubanghi ou du lac Tchad ! Et, tandis que la majorité baisse la tête, confuse, l’opposition se lève, furieuse : Où est ce sultanat ? je ne le sais pas très bien, mais il me le faut ; puisqu’on m’a dit qu’il était à moi, je ne veux pas me le laisser prendre…

En ce qui concerne Madagascar, on se souvient que la France, le 17 décembre 1885, à la suite d’une campagne militaire dont les résultats étaient plutôt négatifs, a signé avec les Hovas un traité par lequel ils nous ont reconnu la possession absolue de la belle baie de Diego-Suarez, dont nous étendons chaque jour le territoire à notre gré et qui compte aujourd’hui 25,000 habitans. Ils ont admis aussi que nous ayons un résident général à Tananarive, lequel servirait d’intermédiaire entre la reine Ranavalo-Manjaka et les puissances étrangères. C’était un embryon de protectorat plutôt qu’un protectorat bien défini. Ce qu’on ignore en effet, c’est que la mauvaise foi du gouvernement hova, ou plutôt du premier ministre qui concentre en ses mains toute l’autorité, se fit jour dès le lendemain de la signature du traité. Ainsi la copie française de cet instrument diplomatique portait que la France « préside » aux relations extérieures de Madagascar. À ce mot, les Malgaches, dans la copie traduite en leur langue, en substituèrent un autre qui voulait dire seulement que la France surveille ces rapports de Madagascar avec l’étranger.

Depuis sept ans le ministre malgache n’a laissé passer aucune occasion de montrer qu’il se souciait fort peu de nos droits les plus élémentaires. Il prétend, par exemple, contrairement aux engagemens pris, s’aboucher directement avec le « corps consulaire, » qui ne se compose à la vérité que de deux membres, un Italien et un Anglais. Ce dernier, s’étant absenté il y a quelques semaines, en informa notre résident général, qui, à son tour, en fit part au gouvernement hova ; à quoi ce gouvernement nous répondit par une lettre légèrement gouailleuse, dont le sens était celui-ci : « Je vous remercie de l’attention que vous avez de me l’apprendre, mais je le savais. » Ces menus détails, que M. de Mahy eût pu ajouter à son interpellation, et bien d’autres, ne prouvent rien, sinon que la « cour d’Emyrne » se moque de nous ; mais que nous importe !

L’Angleterre, l’Allemagne, toute l’Europe, ont reconnu notre protectorat, autant dire notre domination effective, le jour où il nous conviendra de l’établir. Mais ce jour est-il venu ? Lors même que le gouvernement hova serait à notre entière discrétion, ne sait-on pas qu’il est contesté lui-même, dans une notable partie de l’île, par exemple, sur la côte occidentale nord, par les populations sakalaves,