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malveillans sur toutes les questions. D’autant plus que, les radicaux norvégiens ne disposant que de 12 à 14 voix de majorité sur les 114 membres dont se compose l’assemblée, il ne serait pas impossible qu’une nouvelle consultation du pays modifiât la composition actuelle des partis. Seulement, la constitution ne permet pas au roi de dissoudre le Storthing. On sait que la crise a pour origine la question des consulats, actuellement communs à la Suède et à la Norvège et que cette dernière voudrait voir distincts pour chacune des deux couronnes.

Mais ce n’est là que la cause apparente du malaise dont souffrent dans leurs rapports les deux royaumes Scandinaves. Il y a d’abord incompatibilité d’intérêts : le Norvégien est libre-échangiste, le Suédois est protectionniste ; il y a ensuite différence de tempérament politique : le Suédois est traditionnel ; toute institution qui existe a, par ce seul fait, à ses yeux un droit évident à l’existence. Si l’on y touche, que ce soit avec la lime, jamais avec la hache. Le Norvégien, au contraire, est novateur ; il aime tellement le progrès et redoute tellement la routine qu’il se méfie de tout ce que le temps a fondé. Les questions militaires ont aussi fourni, ces dernières années, matière à discorde : les Suédois voudraient supprimer cette clause du pacte d’union, qui défend au roi de se servir du Landvärn norvégien, hors des frontières de Norvège. L’armée suédoise, n’étant pas dans le même cas, pourrait être, disent-ils, appelée à défendre la Norvège, en cas de guerre, tandis que l’armée norvégienne ne serait pas astreinte aux mêmes obligations vis-à-vis de la Suède.

On ne voit pas bien à quelles éventualités belliqueuses la Scandinavie aurait à faire face ; mais, dans notre temps de paix générale, personne ne croit avoir assez de soldats, et la prudente Belgique elle-même se réjouit de ce que son nouveau ministre de la guerre, le général Brassine, par le de la doter d’une armée de 300,000 hommes ! Les Suédois ne refusaient pas de s’imposer aussi de nouveaux sacrifices ; ils ont quelque peu augmenté l’an dernier la durée du service actif de leurs troupes. Même, dans la discussion qui est intervenue à ce sujet au Riksdag de Stockholm, le ministre du roi Oscar a laissé échapper un mot malheureux : « Avec l’augmentation de forces que nous vous demandons, a-t-il dit à la majorité, nous pourrons parler suédois aux Norvégiens. » Ce langage, qui contenait une menace peu déguisée à l’adresse du royaume-frère, fit une impression fâcheuse à Christiania. Nul, d’ailleurs, dans la presqu’île du Nord, n’a l’intention de dénouer jamais le conflit par les armes, dans le cas où il ne pourrait se terminer autrement. Bien au contraire ; le roi a de tout autres projets, et, quant à la Norvège, le désir de la paix est si grand chez elle que le président radical du Storthing, faisant allusion aux visées que l’on prête à la Russie d’obtenir un port sur l’Atlantique, a pu prononcer,