grand-officier pour lui montrer le cas que l’on faisait de son indépendance et de sa franchise. Il engagea M. Rouher à dissuader le souverain de cette largesse. « Cela ne changera rien à mon dévoùment, disait-il, et cela pourra en donner à d’autres. D’ailleurs, je suis le plus oisif et le plus inutile des hommes. Je passe toutes mes soirées au coin du feu. Voulez-vous que je mette une plaque sur ma robe de chambre ? » On ne l’écouta pas et il fut grand-officier pour avoir critiqué une pensée de l’empereur. Mais il n’y avait point de plaque qui pût le réconcilier avec la liberté. Si, du moins, on était allé jusqu’à la responsabilité ministérielle, la dynastie, pensait-il, eût été hors de question. Il oubliait les souvenirs de 1848, qu’une autre révolution allait confirmer. Nous le savons aujourd’hui : chez nous, la responsabilité des ministres ne couvre pas le souverain ; c’est tout juste si elle donne un peu d’ombre à un président de république. Lorsqu’enfin l’année 1870 apporta à la France pour ses étrennes la responsabilité ministérielle, Mérimée, ne se souvenant plus qu’il l’avait souhaitée, se voila la face.
Qu’aurait-on pensé de l’empereur s’il était parvenu à fonder en France la monarchie constitutionnelle ? La question a dû tenter quelquefois ces calmes esprits pour qui le présent est déjà de l’histoire et qui ne demandent aux événemens de la politique qu’un spectacle ou un problème. J’imagine qu’on trouverait aujourd’hui la seconde partie de son règne fort supérieure à la première. On louerait le prince d’avoir choisi pour commencer l’essai des libertés et l’éducation du peuple une heure de gloire et de paix, d’avoir compris que les seules réformes viables sont celles qui ne sont point arrachées par la menace et la violence. Les écrivains et les professeurs feraient ressortir cette patiente et quotidienne abdication d’un souverain absolu qui se dessaisit de ses droits pour les remettre à la nation, après lui en avoir appris l’usage : phénomène sans précédent, expérience unique, à moins qu’on ne la compare à l’œuvre imparfaite de Guillaume III. Celui-là a été, lui aussi, méconnu et abreuvé d’amertume. On a voulu le réduire au rôle humiliant de mari de la reine ; il a vu sa parole reniée au bas d’un traité, ses meilleurs amis au pilori et ses idées combattues par ses propres ministres jusque dans le conseil. Mais la postérité lui a été clémente parce que son œuvre a réussi et vécu. Différent a été le sort de l’autre « Taciturne. » Il a eu le tort d’échouer dans un pays où le malheur est un crime. Ses ennemis n’ont pas désarmé, ses amis ne l’ont pas suivi ; puis, quelqu’un est venu de l’autre côté du Rhin et, d’une main brutale, a renversé la table et les joueurs, avec leurs combinaisons, et nul n’a su qui aurait gagné la partie.