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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/826

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Dans cette même lettre, adressée à la comtesse de Montijo, il lui parle de son petit-fils, le prince impérial, qui vient de recevoir à Sarrebrück le baptême du feu : « On me dit, ajoute-t-il, qu’il a envoyé à M. Filon une relation de l’affaire , très claire et très bien tournée. » Cette lettre fut, en effet, le dernier rayon de joie qui éclaira ce palais de Saint-Cloud, bientôt abandonné en hâte et dans la nuit, et voué à un sinistre destin. On y sentait, — j’y cherche encore quelquefois, quand la vie m’accorde un répit pour relire et me souvenir, — l’entrain , tout français, et comme le battement de cœur du brave petit soldat de quatorze ans qui croyait revenir d’un vrai champ de bataille. Joie courte et payée bien cher.

Mérimée eut une syncope en apprenant le combat de Wissembourg. Le double coup de Wœrth et de Freschwiller dut l’écraser. Le 9 août, il se traîna aux Tuileries et vit l’impératrice. « Elle est ferme comme un roc, écrivait-il à Panizzi, bien que, certes, elle ne se dissimule pas l’horreur de sa situation. Je ne doute pas que l’empereur ne se fasse tuer, car il ne peut rentrer que vainqueur, et une victoire est impossible !… Rien de prêt chez nous. Tout manque à la fois… Si nous avions des généraux et des ministres, rien ne serait perdu, car il y a bien de l’enthousiasme, mais, avec l’anarchie, les meilleurs élémens ne servent de rien. » Un seul mot sur sa santé : « Je suis retombé pour être allé au sénat hier et avant-hier. » Dans la lettre suivante, il s’écrie : « C’est une agonie ! » Ce n’est pas de la sienne qu’il parle, mais de celle de la France. Il revient sans cesse sur l’énergie de l’impératrice. Sa consolation est de l’admirer. Il répète à Mme de Montijo le mot qu’il a écrit à Panizzi : « Ferme comme un roc !» — « Elle m’a dit qu’elle ne sentait pas la fatigue. Si tout le monde avait son courage, le pays serait sauvé. Malheureusement il y a la quatrième armée de M. de Bismarck, et celle-là est à Paris. » Cependant Mérimée essayait de croire à un retour de fortune ; il recueillait avidement ces folles rumeurs de victoire qui couraient dans l’air, déchirant le cœur à ceux qui savaient, et préparant un furieux réveil pour le moment de la désillusion. C’était Bazaine qui avait « donné la main » à Mac-Mahon ; c’était Canrobert qui avait jeté les Prussiens dans les carrières, tristement légendaires, de Jeumont et en avait fait un carnage terrible. Mérimée questionnait et l’impératrice secouait la tête. Le dernier jour qu’elle le vit, elle lui dit : « J’espère que mon fils n’aura pas d’ambition et qu’il vivra heureux dans l’obscurité[1]. »

C’est ici que se place la démarche ou, si l’on veut, la mission de Mérimée auprès de M. Thiers. Il était resté en relations amicales

  1. Correspondance avec Mme de Montijo, 8 septembre 1870.