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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/919

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et diverses puissances européennes entretinrent avec ces premiers souverains du Moghreb des rapports pleins d’urbanité. Des chevaliers, cadets de famille, venaient d’Europe tenter la fortune auprès d’eux. Raguse y envoyait des bateaux qui débarquaient à Alexandrie les pèlerins de La Mecque. Les papes d’alors correspondaient avec les califes d’Occident. Il y avait à Fez, à Maroc, à Méquinez, des églises, des évêques recevant l’investiture directement de Rome. L’université de Fez, ses bibliothèques, étaient fréquentées par d’illustres Arabes, dont un des plus célèbres, Averroès, médecin et philosophe, vit ses commentaires sur Aristote condamnés par l’Université de Paris et le saint-siège. Enfin, si dans cette partie privilégiée de l’Afrique du Nord le souvenir des croisades était loin d’être effacé, ce souvenir n’en excluait nullement ce que la lutte entre croisés et Sarrasins avait eu de chevaleresque.

Au XVIe siècle, avec l’avènement de la dynastie d’Hassan ou d’Haschan, dont l’un des rejetons règne actuellement à Fez, le Moghreb retomba dans la barbarie, dont il n’est plus sorti. Haschan était un descendant du Prophète, et c’est tout dire : le fatalisme musulman, joint à la haine du chrétien, s’étendit ainsi qu’une gangrène malfaisante sur tout l’empire. Comme les esprits, les terres n’eurent plus de culture. Autrefois, les îles Canaries, l’Andalousie, échappèrent à plus d’une famine grâce au blé que le Maroc était en mesure de leur envoyer, et, de son côté, l’Espagne, reconnaissante, venait secourir le Maroc quand la peste décimait ses villes et ses campagnes. Rien de tel ne pourrait se reproduire aujourd’hui. Depuis des siècles, les deux tiers du territoire africain sont en friche ; comme en Tunisie, — d’où elles commencent à disparaître, — ce ne sont qu’immenses plaines où croissent les tristes asphodèles, les mauves et autres fleurs des champs.

C’est du jour où l’agriculture cessa d’être en honneur que commença le brigandage sur mer des corsaires d’Afrique. Les courses durent suppléer à ce que la terre abandonnée à elle-même ne donnait plus. Les deys d’Alger, les beys de Tunis et de Tripoli, les rois de Maroc et de Salé s’imaginèrent de faire payer un tribut annuel à ceux des gouvernemens dont les navires naviguaient dans leurs eaux. Malheur aux sujets de ceux qui s’y refusaient ! Malheur surtout aux marins, aux pêcheurs qu’un gros temps jetait au large : l’esclavage les guettait. Pour mieux ruiner la marine des puissances qui se montraient récalcitrantes à une redevance, les despotes des États barbaresques faisaient construire dans leurs arsenaux des galiotes, des galères, des chébecs à deux mâts montés par 200