Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou artificiel ; dans les cavernes d’où ce gaz s’exhale, dans les pièces closes ou mal ventilées où est accumulée une trop grande quantité d’hommes ou d’animaux. Dans les salles publiques, en effet, l’air se vicie rapidement ; dans les salles de théâtre, dans les écoles, dans les salles de cours, comme à la Sorbonne, où on a trouvé jusqu’à 10 pour 1000 d’acide carbonique, et dans une écurie des Alpes où hommes et animaux étaient entassés les uns sur les autres, on a pu rencontrer jusqu’à 21 parties d’acide carbonique pour 1000. De telles atmosphères sont toxiques, et on en a la preuve. C’est ainsi que, dans la guerre des Indes, sur 146 prisonniers qui furent enfermés dans une petite chambre, à huit heures du soir, il n’y en avait plus que 50 de vivans à deux heures du matin, et, au jour, il n’en restait que 23, d’ailleurs mourans. De même, après Austerlitz, sur 300 prisonniers enfermés dans une cave mal ventilée, 260 moururent en quelques heures, asphyxiés par l’acide carbonique. De même encore, aux célèbres assises d’Oxford, où les juges et une partie des assistans furent asphyxiés par le même mécanisme. Peut-être, dans ces cas, s’est-il joint à l’influence de l’acide carbonique une autre influence, celle du poison que M. Brown-Séquard croit être exhalé par les poumons ; mais il faut convenir que l’existence de ce poison n’est point encore certaine, bien qu’elle paraisse vraisemblable. Pour en revenir aux cas d’asphyxie par l’acide carbonique, il nous reste à citer ceux où l’homme et les animaux sont tués par du gaz exhalé des sources naturelles et qui s’accumule dans les dépressions voisines. Ces vallées de mort ont été décrites par différens voyageurs. Nul végétal n’y pousse, pas un arbuste, pas une herbe ; c’est la stérilité absolue. Le sol nu, pierreux, est comme frappé de mort. Çà et là blanchissent des squelettes d’oiseaux, de mammifères, d’hommes même. Ignorant les funestes propriétés de ce lieu maudit, ceux-ci ont voulu le traverser ; l’acide carbonique, plus lourd que l’air, accumulé dans toute la partie non agitée par les vents, les a saisis, et nul n’en est sorti.

Funeste aux animaux comme aux plantes, rejeté par eux aussitôt qu’il s’est formé au sein de leurs tissus, l’acide carbonique nous apparaît bien comme un agent de mort, un gaz malfaisant entre tous. Tout au plus lui peut-on accorder un rôle bienfaisant lors de la mort des êtres supérieurs ; s’accumulant peu à peu dans l’organisme lors de l’agonie, presque toujours asphyxique, peut-être vient-il, au moment où l’homme entre dans son dernier sommeil, où son corps va subir la dissolution finale, assoupir l’intelligence, l’insensibiliser doucement, et par une anesthésie bienfaisante, lui faciliter l’acte final de la vie physique. La chose est