Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montagnes, qui accompagnent par conséquent la raréfaction de l’air et la diminution de pression. Faisant l’ascension d’une montagne du Pérou, dit-il, « je fus subitement atteint et surpris d’un mal si mortel et étrange que je fus presque sur le point de me laisser choir de la monture en terre… Me trouvant donc seul avec un Indien, lequel je priai de m’aider à me tenir sur la monture, je fus épris d’une telle douleur de sanglots et de vomissemens que je pensai jeter et rendre l’âme. D’autant qu’après avoir vomi la viande, les phlegmes et la colère (bile), l’une jaune et l’autre verte, je vins jusqu’à jeter le sang, de la violence que je sentais en l’estomac, je dis enfin que si cela eût duré j’eusse pensé certainement être arrivé à la mort. Cela ne dura que trois ou quatre heures jusques à ce que nous fussions descendus bien bas… Et non-seulement les hommes sentent cette altération, mais aussi les bêtes… » Et plus loin : « Je me persuade que l’élément de l’air est en ce lieu-là si subtil et si délicat qu’il ne se proportionne point à la respiration humaine, laquelle le requiert plus gros et plus tempéré. » La justesse de ces dernières expressions, — employées trois cents ans avant Priestley et Lavoisier, — est frappante ; l’air des hauteurs est en effet trop rare, trop ténu, trop subtil pour la respiration des êtres supérieurs. Le mal que décrit Acosta est celui qui, selon les lieux, prend le nom de pûna, de soroche, de veta, de mal des montagnes ou des ballons. Il a été décrit plus récemment par Tschudi, par Lortet, et bien d’autres ; chacun a observé les vertiges, les vomissemens, l’anxiété, la défaillance, qui le caractérisent ; on sait par des expériences précises, — celles de Lortet et de Chauveau, entre autres, — que la respiration est diminuée, en même temps qu’accélérée, on a noté les douleurs musculaires intenses, et les troubles circulatoires et nerveux qui aboutissent à la paralysie et à la mort, si l’ensemble des perturbations se prolonge, comme dans la catastrophe du Zénith.

Sans retracer ici les opinions qui ont eu cours aux différentes époques sur la cause de ces accidens redoutables, nous nous contenterons de rappeler ici l’explication récemment fournie par Paul Bert et d’autres physiologistes. Elle est bien simple ; les troubles de la mort sont dus à une diminution de tension de l’oxygène, diminution qui a pour cause la rareté relative de ce gaz, l’air étant plus raréfié, plus dilaté, en quelque sorte, dans les hauteurs que vers les niveaux moyens. En réalité, les recherches de Paul Bert montrent que, dans ce cas, la diminution de pression tue les organismes non pour une raison mécanique, non par diminution de pression, mais pour une raison d’ordre chimique, par rareté d’oxygène, par anoxyhémie, ou défaut d’oxygène dans le sang. L’animal plongé